La famille a toujours été un thème périphérique pour la gauche. Il arrive cependant parfois qu’elle la défende avec force investissement, comme ça a été le cas récemment dans le canton de Fribourg.
Symbole d’ordre et de stabilité, la famille traditionnelle continue d’imprégner les imaginaires suisses. Mais entre revendications progressistes et crispations conservatrices, ses contours sont de plus en plus discutés. Cet article s’inscrit dans un dossier thématique consacré à ces tensions.
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La famille n’a jamais vraiment été le cheval de bataille de la gauche. Ce sont en tout cas les dires du professeur en sciences politiques Pascal Sciarini, qui identifie la famille comme “un thème du Centre”. Or, à Fribourg, la gauche s’est mobilisée pour l’adoption de la loi sur les prestations complémentaires pour la famille (LPCFam). En 2026, les familles fribourgeoises précaires ne recourront plus obligatoirement à l’aide sociale pour subvenir à leurs besoins. En septembre dernier, la population du canton a adopté à 70 % la loi. L’aboutissement d’un long chemin pour un projet que la nouvelle Constitution cantonale de 2004 prévoyait depuis 20 ans. Si l’adoption de la LPCFam est le fruit d’une collaboration entre les grands partis du canton, des acteurs de gauche ou de centre-gauche se sont particulièrement investis.
Un rapport contrarié
Introduites pour la première fois en 1997 au Tessin, les prestations complémentaires pour la famille ont été pensées pour aider les foyers dans le besoin. Si le revenu d’un ménage avec des enfants mineurs ne parvient pas à couvrir ses dépenses vitales, le canton lui verse un montant lui permettant d’atteindre la somme suffisante. Un modèle qui permettrait, selon la Conférence suisse des institutions d’action sociale, de «décharger l’aide sociale» qui s’occupe actuellement de nombreuses familles précaires. Depuis, des LPCFam sont en vigueur dans les cantons de Genève, Soleure et Vaud.
Plusieurs initiatives populaires proposant d’étendre le modèle tessinois à la Suisse entière ont été rejetées. Elles furent lancées alternativement par le Parti socialiste et le Centre. «En Suisse, les développements des politiques familiales ont été le fait d’alliances entre le Centre et le PS», pointe Pascal Sciarini. Que les deux camps se saisissent de la thématique ne découle toutefois pas d’une proximité idéologique. Les deux partis ont pu se battre pour les mêmes causes, mais pas pour les mêmes raisons. Comme l’explique le politologue, le Centre se mobilise au nom de la défense de la «famille traditionnelle», alors que la gauche le fait pour une «égalité de la femme et de l’homme dans le couple.”
Même combat, autres convictions
Selon Pascale Michel, députée socialiste au Grand Conseil fribourgeois, «la gauche a clairement un problème avec la famille.» Celle qui fut assistante sociale était l’une des socialistes engagée dans le comité de soutien à la LPCFam dans le canton de Fribourg. Elle reconnaît que la thématique familiale constitue pour son camp une sorte d’angle mort. «La famille est vue par la gauche étatiste et laïque comme le siège du patriarcat, investie qu’elle est par des valeurs catholiques», analyse l’ancienne catéchiste, estimant que ces milieux voient la famille comme une institution qui reproduit les inégalités au lieu de les combattre.
La gauche a clairement un problème avec la famille.
Pascale Michel, députée socialiste fribourgeoise
Pourtant, à Fribourg, canton à majorité catholique où les questions familiales sont souvent porteuses, le PS a joué un rôle important dans la concrétisation de la loi. «Ceux qui s’intéressent à la voix des bénéficiaires de ce genre de prestations ne sont pas vraiment majoritaires au Grand Conseil. Ce sont des thématiques qui ne les touchent pas directement», constate Pascale Michel qui pointe du doigt des «préjugés stigmatisants» à l’endroit des familles précaires. Ces derniers auraient contribué à retarder l’adoption de la loi. «La gauche a soutenu cette cause surtout dans une optique de lutte contre la précarité et pas pour protéger la famille», juge la socialiste. Une position qui, à en croire Pascal Sciarini, résume le rapport «prudent» que la gauche entretient avec le thème. «La famille traditionnelle ne constitue pas le cœur d’action de la gauche, mais elle s’y intéresse indirectement par le biais des politiques sociales.»