Alors que la société suisse s’ouvre à des modèles familiaux plus inclusifs, une partie des jeunes issus des partis bourgeois revendique un retour aux normes dites traditionnelles. Ce positionnement, qui tranche avec celui de certains de leurs aînés, met en lumière les divergences générationnelles au sein même de ces formations politiques.
Symbole d’ordre et de stabilité, la famille traditionnelle continue d’imprégner les imaginaires suisses. Mais entre revendications progressistes et crispations conservatrices, ses contours sont de plus en plus discutés. Cet article s’inscrit dans un dossier thématique consacré à ces tensions.
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Mariage pour tous, familles monoparentales ou homoparentales, imposition individuelle: les questions familiales ont suscité de vifs débats dans le paysage politique suisse ces dernières années. Si l’on aurait pu croire à un recul progressif du modèle patriarcal au profit de visions plus libérales, un phénomène inverse émerge dans certaines jeunesses partisanes de droite.
Les sociologues Christina Bernatici et Jean-Marie Le Goff, ont récemment relevé dans une étude une forme de réappropriation des valeurs traditionnelles chez certains jeunes. « Une partie de la jeunesse semble aujourd’hui plus conservatrice que leurs aînés lorsqu’il s’agit de rôles familiaux, du lien entre travail et famille, etc. », analyse Le Goff, doctorant à l’Université de Lausanne. Pour les deux chercheurs, difficile de savoir s’il s’agit d’un effet générationnel ou du simple reflet d’une jeunesse encore éloignée des réalités de la parentalité.
À l’UDC, une ligne dure chez les jeunes
Joël Oguey, Président des Jeunes UDC Vaud, reflète cette tendance. Pour lui, la famille doit reposer sur un cadre rigide : « Un père, une mère, des enfants. Et surtout, un mariage. Sans cela, ce n’est pas une vraie famille. » Il rejette explicitement les modèles homoparentaux, perçus comme « des schémas malsains pour l’enfant », ainsi que tous types de modèles familiaux plus inclusifs. La procréation médicalement assistée (PMA) ne fait pas exception : « si la nature veut qu’un enfant soit engendré par un homme et une femme, je ne vois pas pourquoi on permettrait autre chose ». Ce modèle familial structuré occupe une place centrale dans le discours du parti : « Tous les programmes de l’UDC le disent: la famille est la cellule de base de la société », insiste-t-il.
Un père, une mère, des enfants. Et surtout, un mariage. Sans cela, ce n’est pas une vraie famille.
Joël Oguey, Président des Jeunes UDC Vaud.
Ce discours s’accompagne d’un rejet frontal du « wokisme », vu comme une menace idéologique. Une posture qui s’enracine souvent dans des convictions religieuses. « Le mariage est une institution chrétienne. Son extension aux personnes homosexuelles, bien qu’accepté en votation populaire, reste contesté au nom de la Bible ou du Coran. »
En contraste, Timon Gavallet, Président de l’UDC Fribourg, tient un discours plus nuancé : « Les mœurs évoluent, il faut vivre avec son temps », admet-il, reconnaissant que la définition de la famille varie selon les sensibilités au sein du parti. Mais pour Joël Oguey, cette divergence entre parti Jeune et parti mère, n’est pas une question de génération : « De manière générale, il y a à l’UDC une branche plus libérale et une autre, plus traditionnelle — celle à laquelle j’appartiens — qui défend une politique familiale plus rigide et ancrée dans des valeurs religieuses. »
Un PLR traversé par ses propres tensions
À l’inverse, au PLR, la famille n’est pas érigée en valeur cardinale. Elle est envisagée sous l’angle de la conciliation avec le travail, et donc de l’efficacité économique. « Le combat, c’est de permettre aux deux parents de travailler », résume Loïc Bardet, vice-président du PLR Vaud. Les questions d’orientation sexuelle ou de modèle familial « relèvent de la sphère privée ». Une opinion partagée par Philippe Lörtscher, président des Jeunes PLR Vaud : « La famille n’est pas le thème le plus porteur pour notre parti. Ce n’est pas un combat qui nous motive à nous réveiller le matin. »
Pourtant, chez les Jeunes PLR, la ligne n’est pas toujours claire. En 2021, la section genevoise s’est d’abord exprimée contre le Mariage pour Tous lors d’une assemblée générale, ce qui a entraîné des tensions internes. Des membres du comité ont démissionné, des accusations dénonçant un manque de transparence ont émergé.
Pour Watson, un membre du parti aurait confié avoir motivé son vote par une opposition à la PMA. Face à la controverse, une seconde assemblée a été organisée : cette fois, le résultat s’est inversé, avec 49 voix favorables, 44 contre et 6 abstentions. « Ce vote va à l’encontre de notre ADN », avait alors réagi Darius Azarpey, membre du comité, dans les colonnes du 24 heures.
Le Centre, entre tradition et inclusion
Le Centre s’efforce quant à lui d’ajuster sa vision de la famille pour répondre aux enjeux sociaux contemporains. Longtemps considéré comme « le parti de la famille » pour ses membres, l’ex-PDC – parti démocrate-chrétien – devenu Le Centre tente aujourd’hui d’élargir son électorat. « Le Centre, avec son changement de nom, affiche sa volonté de s’ouvrir à un électorat urbain, pas uniquement confessionnel. », analyse le politologue Andrea Pilotti.
« C’est vrai que le PDC avait à l’époque une image très traditionnelle de la famille, mais c’est aussi peut-être un élément qui nous différencie. »
Maxime Moix, vice-président des Jeunes du Centre Suisse.
Pour Maxime Moix, vice-président des Jeunes du Centre Suisse : « le Centre a maintenant une vision très large de la famille, plus qu’à l’époque. » Il est affirmatif : la famille traditionnelle, inclut désormais des modèles monoparentaux et homoparentaux. Mais là encore, des tensions subsistent. Certaines sections cantonales, notamment dans les régions catholiques, conservent une attache forte au modèle traditionnel. « Certaines différences persistent selon les cantons », concède le vice-président du Jeune parti, issu du Valais.
Pour lui, le Centre se distingue néanmoins par une vision plus institutionnelle du mariage, qu’il valorise comme engagement symbolique fort – une posture qui le situe entre les revendications du PLR et le conservatisme moral de l’UDC. Mais contrairement à ces partis, pour Maxime Moix, il n’y a pas de renversement générationnel chez les Jeunes du Centre. « C’est vrai que le PDC avait à l’époque une image très traditionnelle de la famille, mais c’est aussi peut-être un élément qui nous différencie. »