Famille, éducation, identité: vision traditionaliste d’un jeune conservateur suisse

À 24 ans, Raphaël Lecoultre, jeune UDC, défend un modèle familial à l’ancienne et milite pour un retour aux rôles genrés. Entre héritage personnel et convictions politiques, portrait d’un conservateur qui revendique la tradition comme boussole.

Symbole d’ordre et de stabilité, la famille traditionnelle continue d’imprégner les imaginaires suisses. Mais entre revendications progressistes et crispations conservatrices, ses contours sont de plus en plus discutés. Cet article s’inscrit dans un dossier thématique consacré à ces tensions.
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Raphaël Lecoultre a les idées claires : il tient à exprimer publiquement toutes ses opinions. Connu sous le nom de Raphael Vici sur ses réseaux sociaux, il y expose sa vision conservatrice auprès de sa communauté. Ayant grandi dans les environs de Lausanne, ce Vaudois engagé s’investit activement au sein de l’UDC cantonale. À la croisée de plusieurs passions et responsabilités, Raphaël gère plusieurs rôles : il travaille dans la gestion des rentes AVS, apprécie le sport, la philosophie et tente d’offrir un maximum de son temps à son parti politique.

Sur son profil Instagram, le jeune conservateur publie régulièrement ses conseils et propose des débats. On y retrouve fréquemment des allusions à la force masculine, aux bienfaits du sport ainsi qu’à l’importance d’assumer son identité. Il ne se considère pas comme un influenceur, mais voit plutôt son activité en ligne comme un moyen de transmettre des connaissances et de «susciter le dialogue».

Issu d’un modèle familial qu’il définit lui-même comme «à l’ancienne», le militant UDC revendique une éducation traditionnelle. Selon lui, il doit beaucoup à sa mère, attentive aux besoins de ses deux fils, et à son père, ancien ouvrier, qui a toujours assuré leur stabilité financière. Ce modèle économique reste encore très présent dans les foyers suisses avec enfants. Selon l’OFS, 82 % des mères d’enfants de moins de 15 ans exercent une activité professionnelle à temps partiel en Suisse.

L’autorité au masculin

À ses yeux, la société contemporaine remet en cause un équilibre familial qu’il juge essentiel. Il associe cette évolution à l’influence du wokisme et de certains courants féministes, perçus comme des forces qui contribueraient à brouiller les repères entre les genres. Une lecture du monde qui repose sur des rôles genrés clairement définis, et qui considère la complémentarité comme un socle immuable. «Les hommes et les femmes sont très différents. On demande désormais aux femmes de travailler et de s’occuper des enfants, mais elles ne peuvent pas endosser tous les rôles, c’est disproportionné. Attribuer aux femmes des caractéristiques traditionnellement masculines, comme s’imposer au travail, de la même manière qu’un homme, perturbe vraiment l’équilibre de la société», déclare-t-il. Ces affirmations ne sont pourtant pas soutenues par la recherche en psychologie du travail ou encore en sociologie familiale.

Pour le jeune homme de droite, le modèle familial traditionnel est une structure éprouvée, qu’il ne faut surtout pas abandonner. Il considère la figure du père comme forte, virile et inflexible. Selon lui, le père serait mieux placé pour exercer l’autorité, tandis que la mère gérerait plus naturellement le foyer. «Qu’on le veuille ou non, beaucoup de femmes préfèrent avoir cette sécurité et demandent aux hommes de prendre les devants et d’établir un cadre familial solide. Elles préfèrent avoir cette sécurité.» Qui sont ces femmes et combien sont-elles ? Il ne s’avance pas.

«Pas égaux, mais complémentaires»

Dans une volonté de préserver un cadre éducatif structuré, il défend une séparation claire des rôles, qu’il estime favorable à l’épanouissement des enfants. «Les hommes et les femmes ne sont pas égaux, mais complémentaires. Les enfants ont besoin de cet équilibre entre le masculin et le féminin. Selon moi, c’est la meilleure façon de leur donner une bonne éducation.» Une vision semblant faire abstraction des nombreuses mutations sociales actuelles qui redéfinissent les contours de la parentalité.

Le jeune UDC regrette toutefois que le modèle familial et éducatif ne soit pas suffisamment abordé dans le débat politique suisse. «Ni l’UDC ni aucun autre parti ne se sont assez attaqués à ce sujet. Je trouve cela dommage.»

Convaincu que le modèle de famille nucléaire fonctionne depuis des générations, il conclut : «Pour moi, ce modèle familial traditionnel m’a permis de recevoir une bonne éducation. Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes le voient négativement, ni pourquoi on devrait changer un système qui fonctionne.»

Raphaël n’est pas un cas isolé. En 2024, les Jeunes UDC Suisse revendiquaient plus de 6’500 membres, faisant d’eux la plus grande organisation de jeunesse politique du pays. Ce succès illustre l’attrait que peuvent encore exercer des discours traditionalistes auprès d’une jeunesse en quête de repères identitaires. Raphaël Lecoultre incarne ainsi une nouvelle génération de jeunes conservateurs politiquement engagés dans la défense de valeurs qu’ils estiment mises à mal, telles que le modèle familial traditionnel. Une posture qui, sous couvert de stabilité, tend pourtant à immobiliser les rôles sociaux dans un schéma strict, en décalage avec l’évolution des formes familiales et les revendications croissantes d’égalité.

Par Lea Maurer
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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