Le projet du Conseil fédéral d’interdire l’adoption internationale est loin de faire l’unanimité en Suisse. Malgré la baisse des adoptions depuis vingt ans, une association regrette cette décision et fait part de son incompréhension.
L’adoption représente parfois le projet d’une vie pour certains parents. Et pour celles et ceux qui l’espèrent encore, l’annonce du Conseil fédéral en janvier dernier a été vécue comme un coup de massue. Le Département de justice et police a en effet déclaré que la Confédération envisageait d’interdire l’adoption à l’étranger, et ce, principalement pour éviter les abus.
Techniquement, cette décision n’est pour l’heure qu’une intention du Conseil fédéral, qui a chargé les services de Beat Jans (DFJP) de préparer un projet de loi. Un projet attendu, au plus tard, pour fin 2026 et qui sera mis ensuite en consultation. Cette décision se base sur le constat d’un groupe d’expert-es qui livre un rapport adressé aux autorités.
Un système entaché
Pour rappel, l’adoption internationale désigne l’accueil permanent, par des parents suisses, d’un enfant originaire d’un autre pays, souvent situé hors d’Europe. Elle est encadrée par la Convention de La Haye de 1993, qui pose notamment le principe de subsidiarité: l’adoption à l’étranger ne peut être envisagée que si aucune solution durable n’existe dans le pays d’origine.
Dans leur rapport, les expert·es mandaté·es se sont penché·es sur dix pays: Bangladesh, Brésil, Chili, Colombie, Corée, Guatemala, Inde, Liban, Pérou et Roumanie. Certains de ces pays, comme l’Inde ou la Colombie, sont historiquement de grands pourvoyeurs d’enfants adoptés. D’autres sont connus pour des irrégularités: enfants recherchés sans intermédiaires officiels, entrées sur le territoire suisse sans autorisation, documents manquants ou falsifiés. Le Brésil, par exemple, a vu des adoptants enregistrés comme parents biologiques sur des actes de naissance truqués. Au Chili et au Brésil, des bébés ont été présentés comme issus de fausses naissances pour contourner les autorités. Le Pérou, de son côté, a gelé les adoptions dès 1993 pour freiner ces dérives.
Une chute depuis 2010
Face à ces constats, la Suisse s’apprête à tirer un trait sur un modèle déjà en déclin. En 2009, on comptait encore 300 adoptions internationales. En 2024, ce chiffre est tombé à 36, soit une baisse de près de 90% en quinze ans. Les statistiques de la Confédération illustrent ce recul sans ambiguïté: baisse continue à partir de 2011, stabilisation temporaire autour de 2016, puis nouvelle chute jusqu’à aujourd’hui.
Ce recul ne concerne d’ailleurs pas uniquement l’adoption internationale, mais témoigne d’un changement de paradigme: l’accent est désormais mis sur les adoptions nationales, les placements en famille d’accueil et, dans les pays d’origine, sur le maintien des enfants dans leur cercle élargi ou leur communauté d’origine.
Une décision critiquée
Pour Macarena Fatio, avocate et chargée de communication de l’association Espace A, la décision du Conseil fédéral pourrait surtout pénaliser les enfants les plus vulnérables. « Il reste des enfants pour qui aucune solution durable n’existe dans leur pays d’origine, notamment ceux issus de fratries, atteints de handicaps ou de problèmes de santé. Ceux-là risquent de grandir en institution, faute de perspectives », alerte-t-elle.
Si Espace A comprend la nécessité de mieux encadrer les pratiques, elle regrette une mesure jugée trop radicale. Le rapport qui a motivé la décision se base selon elle sur des faits anciens, sans tenir compte des progrès réalisés depuis l’adhésion de la Suisse à la Convention de La Haye. « Le risque zéro n’existe pas, mais les contrôles ont été renforcés et l’adoption internationale, aujourd’hui très encadrée et coûteuse, se pratique dans un cadre beaucoup plus strict. »
Il reste des enfants pour qui aucune solution durable n’existe dans leur pays d’origine.
Macarena Fatio, avocate et chargée de communication Espace A
Face à cette décision, l’association a choisi de ne pas faire de recours formel, préférant se positionner de manière associative et laisser les individus concernés se mobiliser s’ils le souhaitent. Pour Espace A, la solution résiderait plutôt dans un renforcement des contrôles et des partenariats encadrés avec un nombre restreint de pays de confiance. « Il aurait été plus juste et plus protecteur de renforcer les mesures existantes, plutôt que de fermer totalement la porte », conclut Macarena Fatio.