Transformer l’insoutenable en apaisement, telle est la vocation singulière de Marie Farquet. Suite à plusieurs drames familiaux marquants, la jeune femme s’est tournée vers le métier de conseillère funéraire. Une pratique méconnue et souvent considérée rebutante, mais qui lui offre la possibilité d’avancer dans son propre deuil. Immersion dans un univers où l’une gère sa peine en endossant celle des autres.
« La première personne dont je me suis occupée était ma grand-tante. Résidente de l’EMS où je travaille, elle semblait avoir choisi son moment pour partir. Ce soir-là, elle a attendu que je sois seule en service et est morte dans mes bras », confie Marie Farquet, récemment devenue conseillère funéraire. Ce décès, à l’instar d’autres tragédies personnelles, a profondément marqué son parcours. Enfant, elle vivait dans la peur de la mort, terrifiée à l’idée de s’endormir chaque nuit et de ne jamais se réveiller. Aujourd’hui pourtant, elle la côtoie quotidiennement: une proximité qu’elle a acceptée en rejoignant Coquoz & Sarrasin, une entreprise familiale de pompes funèbres basée à Martigny (VS).
L’établissement se fond dans le paysage, semblable à une petite maison, cachée au creux des vallées. Sa façade jaune poussin, similaire aux habitations environnantes, n’évoque en rien un salon funéraire. D’autant que la première rencontre sur place est surprenante puisqu’il s’agit d’une jeune femme solaire, à l’attitude bienveillante. Vêtue d’un simple jean et d’un t-shirt, cette jeune maman de deux enfants incarne tout, excepté l’image austère que l’on pourrait se faire d’une « croque-mort ». Tout sourire, Marie Farquet nous ouvre les portes d’un lieu tabou, habituellement réservé aux familles endeuillées. Son bureau, témoin régulier de profonds chagrins, contraste par sa banalité. Il s’agit en fait d’un espace fonctionnel et classique, à l’exception d’une étagère sur laquelle est disposée une impressionnante collection d’urnes en terre cuite.
Des soins palliatifs aux soins mortuaires
Malgré sa récente reconversion, Marie Farquet, 29 ans, nourrit depuis longtemps l’envie de devenir conseillère funéraire. Assistante en soins de formation, elle a régulièrement rencontré des agents funéraires lors de son apprentissage. « Je me suis toujours dit qu’un jour je m’occuperais des défunts. Ça fait aussi partie des soins », raconte-t-elle. N’ayant rien pu faire lors du décès de son grand-père et nourrissant un intérêt croissant de s’occuper des aïeux, Marie décide de se former aux soins palliatifs, tout en effectuant un stage chez Cédric Sarrasin, son futur employeur. C’est là qu’elle plonge au cœur du métier et découvre toute la technicité propre aux soins mortuaires.
Avant même de devenir croque-mort, dès qu’on avait affaire à une fin de vie à l’EMS, mes collègues faisaient appel à moi. J’étais devenue la personne qui s’occupait des morts.
Marie Farquet
Intensité quotidienne
Recrutée par le funérarium Coquoz & Sarrasin peu après le décès de sa grand-mère, Marie occupe désormais le poste de conseillère funéraire, une vocation au quotidien souvent intense. En effet, dès le moment où les pompes funèbres sont sollicitées, la priorité est donnée à la levée de corps: « Il faut agir rapidement et ramener le défunt, surtout s’il s’agit d’un décès à domicile car l’endroit n’est pas réfrigéré. Sinon, le corps pourrait vite se détériorer et noircir », explique-t-elle naturellement. Généralement, cette tâche s’effectue à plusieurs, en raison de la lourdeur d’un corps raide. « Parfois, l’intervention des pompiers est nécessaire pour déplacer la dépouille. Cela arrive notamment dans les cas où il faudrait la sortir par la fenêtre », ajoute Marie en riant doucement.
Une fois le corps ramené, la conseillère funéraire procède à la mise en bière, c’est-à-dire à la préparation, maquillage et habillage du défunt. S’ensuit alors une série de gestes techniques. « Habiller un corps rigide est très compliqué. Il faut avoir de la poigne, car tout est bloqué. On utilise des techniques pour libérer les articulations, afin d’éviter qu’elles ne se déboitent ou ne se brisent. Par exemple, on place le poing vers les clavicules pour pouvoir mobiliser les épaules », explique-t-elle, mimant avec précision les mouvements depuis son bureau. Elle souligne que, malgré son apparent petit gabarit, il s’agit d’une vocation nécessitant une bonne condition physique.
La jeune femme veille également à l’apparence de la dépouille. Elle raconte que, lorsque les défunts arrivent avec la bouche et les yeux ouverts, elle les referme systématiquement. « Pour les paupières, il suffit d’imbiber un papier d’eau et de le poser sur les yeux. En ce qui concerne la bouche, on peut soit la recoudre depuis l’intérieur, soit utiliser une collerette transparente pour soutenir la gorge », détaille-t-elle. Cependant, pour la « croque-mort », l’étape la plus gratifiante de son travail reste le maquillage. « J’aime les rendre beaux, faire en sorte que les défunts ressemblent au maximum à ce qu’ils étaient de leur vivant », confie Marie.

Courir pour décrocher
Malgré les mystères et les tabous qui entourent sa profession, la conseillère funéraire valaisanne affirme qu’au fond, il s’agit d’un métier comme un autre. « Ça nous arrive d’aller boire un verre entre collègues après le travail, ou de prendre des pauses café », exprime-t-elle simplement. Mais celle qui souhaite que sa profession soit dédramatisée révèle tout de même avoir une lourde charge émotionnelle à gérer. « À la fin d’un service, il m’arrive souvent d’aller courir. Ça m’aide à ne pas absorber la peine des survivants », confie-t-elle, le regard lourd. Bien que Marie Farquet soit devenue « croque-mort » pour accompagner ses proches malades jusqu’à la toute fin, elle raconte devoir instaurer une barrière psychologique entre elle et les familles endeuillées.
Pour préserver ma santé mentale, je dois me protéger. Je me crée une bulle. Je ne peux pas constamment me mettre à la place des personnes en deuil.
Marie Farquet
S’occuper des morts, tant sur le plan technique qu’humain, est une manière pour elle de progresser dans son propre deuil. Après avoir perdu plusieurs proches, dont ses deux grands-parents en peu de temps, la pratique de la jeune femme lui permet en fait de se soigner elle-même. Finalement, malgré une vocation aux apparences froides et repoussantes, Marie Farquet révèle une facette du métier emplie de bienveillance, d’empathie et surtout d’amour propre.