Quand le climat réécrit la recette du fromage

Les fromages d'alpages seront les premiers touchés par le changement de goût. (Photo: Pixabay)

Élément important du terroir helvétique, le fromage pourrait changer de goût dans les décennies à venir. Avec le réchauffement climatique, le Valais observe une modification progressive de sa flore et l’eau devient un facteur déterminant pour préserver la richesse gustative des produits.

Dans le Val de Bagnes (VS), la laiterie de Verbier produit du fromage depuis plus de 60 ans. Une coopérative dont Marc Dubosson a repris les rênes en 2014. Proposant notamment des produits d’alpage, le fromager explique que le Val de Bagnes regorge « d’une flore incroyable », qui permet à chaque alpage d’avoir un fromage au goût unique. Si aujourd’hui les changements de saveurs de ses produits ne sont pas encore perceptibles, avec le réchauffement climatique, ils pourraient le devenir.

Quand la flore change, le goût aussi

Le réchauffement climatique favorise le développement de certaines espèces problématiques pour les alpages, comme les myrtilliers, le genévrier ou encore l’aulne vert. Ces buissons colonisent peu à peu les pâturages de montagne et sont difficiles à enlever une fois établis. Au contraire, d’autres espèces ayant par exemple la typologie du pissenlit, tendent à disparaitre, mais comme le précise Christophe Randin, biogéographe et directeur du jardin botanique Flore-Alpe de Champex: « Ce ne sont pas forcément des espèces intéressantes pour l’agriculture. » Sur ses différents sites d’observation en Entremont (VS), le biogéographe constate un enrichissement de la flore alpine de 15% sur les 20 dernières années, contre une extinction de 4% par décennie observée dans les chaines de montagne en Europe.

À l’avenir, les agriculteurs auront plus de difficulté à avoir un fourrage idéal composé principalement de graminées et de légumineuses. Mais Christophe Randin rassure: « L’agriculteur, avec son expertise, aura quand même une marge de manœuvre et ce changement ne veut pas dire que le goût sera modifié dans le mauvais sens. »

Les alpages seront les premiers touchés par le changement de saveur, car ils ne profitent pas du fauchage. En effet, les prairies situées à plus basse altitude sont régulièrement entretenues grâce aux coupes, ce qui réduit la compétition entre espèces et permet à la communauté végétale de maintenir une plus grande stabilité face au changement climatique.

Vers un développement de l’irrigation

Le réchauffement climatique et les vagues de chaleur qui en découlent assèchent les alpages: « Le challenge, c’est l’eau, sans celle-ci, il y aura moins de fleurs, tout sera plus sec et le fromage sera plus fade », indique Marc Dubosson. À ce sujet, Christophe Randin souligne que l’estive (ndlr: pâturage d’altitude) ne possède pas suffisamment d’infrastructures d’irrigation, notamment parce qu’elle se situe trop en haut en altitude.

L’approvisionnement en eau est donc un enjeu majeur. Dans la région d’Entremont, le pôle d’innovation Blue Ark a mis en place des projets comme ODILE afin d’optimiser l’irrigation des prairies. Des capteurs d’humidité sont ainsi placés dans le sol afin de déterminer non seulement la teneur en eau, mais également les besoins en eau des plantes, le tout en temps réel. Ce système optimise l’irrigation et limite le gaspillage, mais ces outils impliquent des infrastructures et sont souvent coûteux. Malgré cela, Christophe Randin explique: « Dans les régions déjà équipées en irrigation, comme le Valais, les prairies tirent avantage du réchauffement, pour autant que l’eau reste disponible. »

Des changements qui n’effraient pas

Si le goût des fromages est amené à changer, selon Marc Dubosson, les rendements le sont également: « Le fromage, on pourra toujours en faire, mais les quantités seront moins importantes. » Conscient que le prix de ses produits augmentera, le fromager reste confiant pour son activité: « Sans dire qu’à Verbier, il n’y a que des riches, je pense qu’on est dans un endroit où les gens seront d’accord de payer pour des produits de qualité. »

Tenancier de la fromagerie avant son fils, Roger Dubosson explique que sur les quarante dernières années, si le goût du fromage a changé, c’est principalement dû à la période de lactation. Les vaches vêlent plus tard et lorsqu’elles arrivent sur les alpages, elles sont en fin de période de lactation, ce qui donne un lait plus gras et un goût plus rance qu’à l’époque. « On ne peut pas dire que c’est dû au changement d’herbe, on n’observe pas ce phénomène pour l’instant », se rassure le fromager.

Par Alison Besse
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse II », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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