Formation continue: quel impact sur les acteurs historiques? – JAM

Formation continue: quel impact sur les acteurs historiques?

A l’Université de Neuchâtel, la formation continue représente entre 2 et 5% de l’activité. (Keystone/Jean-Christophe Bott)

À mesure que le monde du travail évolue, les hautes écoles redéfinissent leur rôle dans la formation continue. Entre adaptation pédagogique, innovations institutionnelles et gestion de la rentabilité, elles ajustent continuellement leur positionnement dans un paysage devenu concurrentiel.

Cet article appartient à la série Ce nouveau marché privé de l’éducation consacrée aux grands changements que subit actuellement l’économie de la formation.
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Formation continue: quel impact sur les acteurs historiques ?

Face à une transformation toujours plus rapide du monde du travail, la formation continue connaît une forte croissance. Si historiquement la Suisse est un pays où la formation continue est bien développée, avec notamment les diplômes supérieurs en cours d’emplois que sont les brevets et diplômes fédéraux, aujourd’hui, les universités, hautes écoles spécialisées (HES) et acteurs privés se disputent un marché devenu pleinement concurrentiel.

Certains prestataires privés empruntent désormais les codes académiques traditionnels, utilisant les labels CAS, DAS ou MAS – respectivement Certificates, Diplomas et Masters of Advanced Studies – pour renforcer leur crédibilité, ce qui suscite quelques tensions dans le secteur public, notamment chez René Graf, vice-recteur Enseignement au Rectorat de la HES-SO.

La concurrence ne se limite toutefois pas au privé. Elle s’observe aussi entre institutions publiques. « Certaines offres de formation continue proposées à la HES⁠-⁠SO Fribourg peuvent être en concurrence avec celles de la HES⁠-⁠SO Genève ou d’Yverdon », souligne René Graf. À l’Université de Neuchâtel (UniNE), où la formation continue représente 2 et 5 % de l’activité, cette offre reste complémentaire. Comme les autres institutions, l’UniNE doit aujourd’hui affiner son positionnement, se différencier et capter une demande de plus en plus ciblée, explique Nando Luginbühl, responsable de la communication et promotion de l’Université de Neuchâtel.

Le paysage est d’autant plus complexe que la frontière entre institutions publiques et acteurs privés tend à se brouiller. « La notion d’école privée est difficile à cerner », observe René Graf, qui mentionne l’Ecole Hôtelière Lausanne – école privée intégrée à la HES-SO.

Contrairement à la formation initiale, dans les universités, la formation continue fonctionne sans subventions. Pas de modèle économique sans public. Ainsi, même les formats les plus accessibles doivent s’autofinancer. Ce principe s’applique aussi à la promotion: si une formation souhaite faire de la publicité, elle doit en assumer le coût. « Il faut atteindre un seuil de rentabilité, pour couvrir les frais logistiques », explique Valérie Défago, doyenne de la faculté de droit de l’UniNe.

Pour répondre à ces contraintes, les institutions segmentent leur portefeuille de formation continue entre produits stratégiques et offres de service. D’un côté, les formations certifiantes (CAS, DAS, MAS), pensées comme de véritables produits concurrents, soumis à des exigences de rentabilité et de positionnement stratégique; de l’autre, des formats courts, non certifiants, plus souples, pensés comme un prolongement de la mission académique et des besoins du marché du travail.

Le CAS en droit et intelligence artificielle, récemment lancé à l’UniNE, incarne la première logique. À l’inverse, les colloques juridiques à quelques centaines de francs visent surtout à nourrir le lien avec la pratique. « Certaines de ces formations peuvent être déficitaires – elles sont compensées par d’autres », explique Valérie Défago. Les institutions gèrent ainsi leur offre comme un portefeuille: chaque produit ne vise pas la rentabilité immédiate, mais l’équilibre d’ensemble.

Dans ce paysage mouvant, la formation continue pousse les institutions à adopter une logique de marché: chaque offre doit répondre à une demande, se différencier, trouver son public. « On ne peut pas lancer une formation avec seulement trois inscriptions », affirme la doyenne de la faculté de droit de l’UniNE. « C’est le marché qui décide », ajoute René Graf. 

Pour répondre plus rapidement aux besoins émergents, les établissements misent sur des formats plus flexibles: blended learning, modules empilables, microcertifications. Ce sont aussi des laboratoires d’innovation pédagogique: « Ces produits ont des cycles de vie plus courts, ce qui permet de tester des dispositifs qu’il est plus complexe d’introduire dans la formation de base », souligne René Graf. 

Certaines formations naissent aussi d’initiatives conjointes, comme le CAS en fiscalité des petites et moyennes entreprises développé par l’UniNE et la haute école de gestion. Derrière chaque lancement, une logique: tester, apprendre, s’adapter. La formation continue devient un terrain d’expérimentation stratégique – mais aussi un marqueur de positionnement dans un paysage en pleine recomposition.

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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