Plusieurs établissements privés s’investissent pour répondre aux défis numériques de notre époque, et surtout de celle à venir. Décryptage avec ces acteurs qui prônent la démocratisation des technologies éducatives.
Un marché de plus de 200 milliards de dollars, appelé à peser près de 600 milliards dans deux ans. L’EdTech (contraction de Educational Technology) s’affirme comme l’une des nouvelles tendances du monde de la tech. « L’EdTech concerne l’utilisation des moyens digitaux, dans tous les niveaux de formation », commence Pierre Dillenbourg, pionnier de ces technologies éducatives. Celles-ci couvrent un champ très large, du simple poste d’ordinateur présent dans une classe d’école primaire à des robots ou de la réalité augmentée, toujours utilisés à des fins éducatives. « Les technologies ne sont jamais un but en soi. Le seul but, c’est que les étudiants apprennent », rappelle le chercheur et professeur ordinaire à l’EPFL.
En 2017, il participe à la création du « Swiss EdTech Collider », un incubateur de start-ups spécialisées dans les technologies éducatives. Cet espace de collaboration leur permet d’être mises en relation avec des écoles prêtes à tester leurs outils numériques. « Pour les applications, ça va de l’école maternelle à l’université, en passant par la formation continue ou d’entreprise », éclaire le chercheur belgo-suisse. Aujourd’hui, 223 écoles et plus de 8’000 élèves sont concernées par ce programme suisse pour l’innovation technologique dans l’éducation.
Le privé en avance
Pierre Dillenbourg précise cependant que les EdTech sont encore « largement sous-utilisées » dans les écoles suisses. Et notamment dans l’école publique. « Ce n’est pas tellement une question de budget. Plutôt une question de flexibilité. Dans l’école publique, il y a toujours une procédure assez lourde et compliquée », avance-t-il.
Pour autant, l’enseignement public n’ignore pas les opportunités de l’apprentissage numérique. « Toutes les classes sont équipées de tableaux interactifs, et nous utilisons régulièrement l’une des cinq tablettes attribuées à chaque classe », témoigne Daniela Moreno Gomez, enseignante primaire dans la région lausannoise. Les dispositifs, par contre, varient d’un établissement, ou même d’un prof, à l’autre.
Les écoles privées, quant à elles, « sont plus souples, plus agiles ». Elles ont aussi tout intérêt à montrer leur dynamisme, et à plaire à leur public. « Comme les parents payent assez cher les frais d’inscripition, si le gamin rentre de l’école en disant ‘j’ai joué avec un nouveau robot de l’EPFL’, c’est positif », image Pierre Dillenbourg.
Le virage technologique
À l’International School of Lausanne (ISL), on suit ce chemin de recours aux outils numériques mais avec plus d’engouement. Dans cet établissement privé qui accueille environ 1000 élèves, les plus petits ont accès à des tablettes dès l’âge de trois ans. À partir du secondaire, chacun doit venir en classe avec son propre ordinateur portable. « L’avantage dans le privé, c’est que les parents ont la possibilité d’acheter un ordinateur ou une tablette à leur enfant », reconnaît Julien Rovira, enseignant et responsable informatique à l’ISL.
L’école privée lausannoise prône néanmoins une approche qui inculque aux enfants et adolescents une utilisation responsable du numérique. « Si l’on bloque l’accès à certaines technologies, les élèves trouveront un moyen de contourner. Alors, on préfère les responsabiliser, explique Julien Rovira. Notre objectif, c’est de les préparer au monde de demain. »
Un monde qui change à une vitesse folle et pour lequel l’école Moser essaye de préparer au mieux ses élèves « depuis le début des années 2000 ». Dans cet établissement privé présent en Suisse romande à Genève et Nyon, « le numérique à l’école n’est pas une mode », affirme son directeur Alain Moser. Ce dernier pousse depuis plusieurs années pour que son école soit à la pointe et plaide pour les EdTech. « Cela nous permet de mettre en valeur notre approche et d’échanger avec de nombreux partenaires au cœur de l’innovation », détaille-t-il.
De gros défis pour l’avenir
À l’école Moser, si l’on n’opte pas encore pour du « tout numérique », son directeur est conscient du virage technologique auquel est confronté le monde de l’éducation. « Les professeurs doivent aussi être formés et revoir leur enseignement. Il faut qu’ils réalisent que les devoirs doivent être adaptés s’ils veulent qu’ils soient réalisés par les élèves et pas par l’IA », explique-t-il.
Pour Alain Moser, un changement doit avoir lieu à tous les niveaux. « L’analphabète du XXIe siècle, malheureusement, est celui qui ne comprend rien aux algorithmes, à un site web, sans même parler de l’IA. Nous sommes déjà en déficit d’informaticiens et de programmeurs. À terme, notre société sera à la ramasse si l’on ne change rien », tonne-t-il. Et ce changement a déjà commencé dans certaines écoles privées.