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“En tant que journaliste, je vis dans une peur constante”

Perugia 2019

Le harcèlement contre les journalistes est devenu un fait banal. Des anonymes, mais aussi certains gouvernements s’en rendent responsables. Trois journalistes sont venus livrer leur témoignage lors d’une conférence organisée dans le cadre du Festival International du Journalisme.

Trolling, un mot utilisé pour désigner le harcèlement en ligne subi par de nombreuses personnes. Les journalistes, avec leur influence, en sont souvent victimes. Celui-ci peut venir d’une personne, mais aussi d’un groupe particulièrement bien organisé et agissant dans un but précis.

Aujourd’hui, dans le cadre du Festival International du Journalisme, s’est tenue une conférence sur le sujet. Pour l’occasion, trois intervenants étaient venus témoigner de ce qu’ils ont subi. Le Turque Yavuz Baydar, rédacteur en chef d’Ahval; la Maltaise Caroline Muscat, journaliste d’investigation et l’Indienne Rana Ayyub, journaliste d’investigation et écrivaine.

Trois pays, trois cas différents, mais un point commun: la campagne de harcèlement dirigée contre eux.

Une vie de harcelé.e

Dans une Turquie dirigée par Recep Tayyip Erdogan, Yavuz Baydar est rédacteur en chef d’un journal indépendant. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, la liberté de la presse a drastiquement chuté. Le média est créé en 2017. Trois mois plus tard, le premier cas de harcèlement vise un ancien membre du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), très vite suivi par d’autres. Les réseaux sociaux du journal sont régulièrement bloqués, les journalistes reçoivent des menaces de mort. Des membres du gouvernement sont impliqués dans ces tentatives d’intimidation.

A Malte, l’atmosphère s’est tendue depuis l’assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia. Après la mort de son amie, Caroline Muscat a voulu comprendre d’où venait cette haine dirigée contre elle. Elle s’est donc infiltrée, pendant six mois, dans un groupe Facebook. Ce dernier, très bien organisé, s’était donné pour but de harceler les journalistes opposés au gouvernement. Parmi ses membres, Caroline Muscat y découvre l’entourage proche du Premier Ministre, Joseph Muscat. Depuis ces révélations, la journaliste est victime d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux.

Dans le cas de Rana Ayyub, la campagne de harcèlement a été particulièrement violente. Après avoir enquêté sur le Premier Ministre indien, Narendra Modi, elle décide de publier un livre contenant toutes ses découvertes. À partir de ce moment-là, un déferlement de haine va s’abattre sur elle. “Mon livre a été publié à travers le monde, mais j’en paie le prix fort”: faux tweet à son nom insultant l’Inde, photomontage… elle va même découvrir une vidéo pornographique sur laquelle son visage y a été incrusté.

Quand le virtuel devient réel

La frontière entre le harcèlement virtuel et le harcèlement physique est mince.  Pour Caroline Muscat, l’impact physique a été fort. La haine dont était victime Daphné Caruana est maintenant dirigée contre elle. “J’ai vu un message Facebook disant: ‘On a tué une sorcière, mais il en reste encore une…’. Je vis dans une peur constante, même lorsque je dois aller faire des courses”.  Malgré tout, elle ne baisse pas les bras: “tout ce qu’on peut faire, c’est se battre en retour”.

Yavuz Baydar a été contraint de s’exiler. Il vit maintenant à Paris mais continue de faire vivre son journal. Le harcèlement n’a pourtant pas cessé: “ça vous bloque, vous empêche de travailler, et de dire ce que vous voudriez dire”.

Même cas de figure pour Rana Ayyub. Dernièrement, alors qu’elle se trouvait à Genève pour parler aux Nations Unies, son sac et son passeport lui ont été dérobés. Ce dernier est réapparu quelques jours plus tard dans sa chambre d’hôtel. “C’était une tentative évidente d’intimidation, pour que j’arrête de voyager dans d’autres pays”. Elle a aussi découvert une liste comportant toutes ses données personnelles, ainsi que celles de sa famille: adresse, déplacements, études, connaissances, tout y était.

La responsabilité des plateformes?

Dans la quasi-totalité des cas de harcèlement présentés ici, tous (ou presque) se sont déroulés sur Twitter et Facebook. Pourtant, les plateformes ne sont jamais mises en cause, et aucune mesure concrète n’a encore été prise.

Pour Rana Baydar, les réseaux sociaux encouragent le harcèlement, notamment grâce à l’anonymat qu’ils donnent aux gens. Un autre problème soulevé est celui du fact checking. De nombreuses fausses informations circulent et aux yeux de Yauz Baydar, développer un outil permettant de démêler le vrai du faux, serait un moyen de freiner le harcèlement tout en luttant contre la propagande. Quant à Caroline Muscat, elle estime qu’il est tout simplement temps d’arrêter de considérer ces plateformes comme neutres, et de les obliger à prendre leurs responsabilités en tant qu’hébergeurs de contenus violents.

Sur ce même sujet: Le harcèlement, une arme pour museler les journalistes

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Image de titre: ©JAM

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