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“Ce système de play-off, ça décrédibilise le championnat”

Football féminin

Entré en vigueur en début de saison 2021-2022, le système de play-off dans la Women’s Super League divise. Pour les joueuses et l’entraîneur du Servette FC Chênois Féminin, le constat est clair: la visibilité du football féminin se fait au détriment de la qualité sportive.

Au Servette FC Chênois Féminin (SFCCF), difficile de parler des play-off sans évoquer la finale malheureuse de juin 2022. Les Genevoises avaient dominé la saison régulière avec 15 matchs gagnés pour seulement deux perdus et un nul. L’équipe grenat n’avait encaissé que 9 buts sur le total des 18 matchs. Elles avaient finalement vu le titre de championnes suisses leur échapper au terme de l’ultime rencontre des play-off.

Si les larmes des joueuses sont aujourd’hui effacées, l’amertume d’Eric Sévérac, leur entraîneur, reste intacte. C’est d’ailleurs avec un regard au ciel et un haussement de sourcils désabusé que le Français, en poste depuis 2017, aborde la question des play-off. Selon lui, ce système est “pensé à l’envers” et ne met pas en valeur les sportives, notamment au niveau international.

Mais les play-off, c’est quoi?
Depuis la saison passée, le meilleur championnat féminin du pays a instauré un système de play-off. Au terme d’une saison régulière "classique" dans laquelle chaque équipe dispute deux matchs contre les autres formations de la ligue, les huit premières du classement sont qualifiées dans une phase à élimination directe pour se disputer le titre. Les quarts de finale des play-off opposent la 1ère équipe à la 8ème, la 2ème à la 7ème et ainsi de suite. Les quarts et les demi-finales se disputent sur des matchs aller-retour. La finale, qui voit consacrer les championnes suisses et offre donc une place en qualification de la Ligue des champions, se joue en une seule rencontre. Cette année, le rendez-vous est fixé le vendredi 2 juin au Kybunpark de Saint-Gall.

Tout comme son entraîneur, Paula Serrano, milieu offensif grenat depuis 2018, décrit un système qui profite au spectacle, mais pas à l’équité. “Pour les bonnes équipes, comme Servette, les play-off sont frustrants. Tu peux faire un bon travail durant la saison régulière, puis tout perdre sur un ou deux matchs. C’est injuste.” Un avis également partagé par Sandy Maendly, ancienne joueuse et actuelle coordinatrice sportive du club.

“Un championnat doit se jouer sur la longueur et pas sur un seul match comme la finale”, déplore Eric Sévérac. Il poursuit: “En Suisse, il n’y a qu’une seule place qualificative pour jouer en Ligue des champions. Avec ce système de play-off, ça peut être une qualification presque par accident, c’est gênant. Ça décrédibilise le championnat.”

Un championnat doit se jouer sur la longueur et pas sur un seul match comme la finale.

Eric Sévérac, entraîneur du SFCCF

Si l’amertume du club grenat se justifie, dans les faits, le championnat passé n’a pourtant pas été remporté “par accident” par une équipe de fond de classement mais par les joueuses du FC Zürich Frauen, adversaires légendaires du SFCCF. Des Zurichoises qui n’avaient pas à rougir de leur saison régulière, bouclée sur les talons des Genevoises, avec deux petits points de retard…

Un but marqué pour le marketing

Si le jeu ne ressort pas grandi d’un système de play-off aux yeux des joueuses et de leur coach, tout ne semble pourtant pas à jeter. En termes de marketing et de communication “l’objectif est atteint”, affirme Loïc Luscher, responsable communication du club. La fameuse finale du 6 juin cristallise toutes les tensions. Si l’équipe préférerait l’oublier, la team marketing la qualifie quant à elle de “grande fête du football féminin”. Sourire aux lèvres, Loïc Luscher se souvient: “On a fait beaucoup de communication là autour, avec des vidéos en coulisses et toute une dramaturgie. On a loué sept cars de supporters.”

On a fait beaucoup de communication là autour, avec des vidéos en coulisses et toute une dramaturgie.

Loïc Luscher, responsable communication du SFCCF

Ce jour-là, le stade de la Tuilière a accueilli plus de 2600 spectateurs, un succès. Le système des play-off permet de créer une tension et un enjeu sportif là où il n’y en avait pas dans un championnat marqué jusqu’alors par une hégémonie genevoise ou zurichoise. “Si la saison était déjà jouée, on aurait disputé ces matchs devant les 300 à 400 personnes habituelles”, relève Loïc Luscher.

Les sponsors pas friands de play-off
Les chiffres sont éloquents: les play-off plaisent aux spectateurs. Mais attirent-ils également de nouveaux sponsors? "Non, rien du tout, on n’a pas besoin des play-offs pour ça", tranche Eric Sévérac, entraîneur du Servette FC Chênois Féminin. Et Loïc Luscher, responsable communication du club, de confirmer: "Le club ne retire pas d’avantages économiques à ce nouveau système, aussi car on ne parle pas de sommes énormes." Reste à savoir si ces propos tenus avec très peu de recul seront toujours d'actualité au terme d’une saison supplémentaire potentiellement victorieuse pour les Servetiennes… 

Fervent défenseur du nouveau système en tant que communiquant, le Genevois ose toutefois mettre brièvement son rôle de côté et avoue: “Mon espoir c’est que la visibilité du foot féminin soit telle qu’on puisse se passer des play-off. La suite logique c’est une ligue professionnelle et attractive d’elle-même, comme cela vient d’être annoncé en France.”

Pour Paula Serrano, le chemin vers la professionnalisation est encore long. “La fédération a encore beaucoup de travail, à commencer par l’instauration d’un ballon officiel pour jouer le championnat. On joue encore avec un ballon différent tous les week-ends.” Un “petit détail” qui veut tout dire aux yeux de la joueuse espagnole.

Par Samuel Bonvin, Sophie Gremaud, Sandrine Spycher

Photo: Les joueuses du Servette FC Chênois à l’entraînement, le 19 avril 2023. Sandrine Spycher

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Pratiques journalistiques thématiques” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel. Une version de cet article a été publié le 5 mai sur Blick.ch.

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