En inventant la première station de ski du monde, la Suisse ne pensait pas qu’un jour, le tourisme hivernal serait menacé par le réchauffement climatique. Aujourd’hui, le manque de neige pousse certains acteurs touristiques à repenser une stratégie marketing historique, made in Switzerland.
Si l’on suit les dernières statistiques de l’OFS, la Suisse devrait se retrouver orpheline de ses glaciers à l’horizon 2070. Au-delà de la fonte de ces géants blancs, ancrage certes important dans l’identité alpine, le changement climatique incombe un enjeu bien plus grand que la seule perte de valeur paysagère.
Cet article s’inscrit dans un thématique questionne l’interaction entre patrimoine suisse et climat. Une illustration originale des effets du changement climatique sur différentes facettes de la société.
– Le recul des glaciers suisses, perceptible jusqu’aux yeux de la gardienne de la cabane de Valsorey (VS), met en péril l’identité suisse. Un géographe à l’Université de Genève éclaire cette connexion profonde entre la montagne et l’imaginaire national, aujourd’hui menacée par le changement climatique.
→ L’identité alpine à l’épreuve du climat
– Le fromage, produit du terroir phare de l’identité helvétique, risque de perdre de son goût unique dû aux modifications de la flore alpine et au manque d’eau, conséquence de la hausse du thermomètre.
→ Quand le climat réécrit la recette du fromage
– Au niveau politique, il existe un véritable paradoxe. Comment peut-on défendre notre patrimoine identitaire suisse sans prendre en compte le changement climatique?
→ La transition écologique coïncide-t-elle avec la protection du patrimoine ?
Fini la poudreuse, bonjour les cocotiers sur les dépliants de Suisse Tourisme ? Si la question peut faire sourire, la réalité est moins joyeuse. En réduisant à vue d’œil l’enneigement en moyenne montagne, le réchauffement climatique a déjà forcé de nombreux domaines skiables à fermer leurs portes.
En 50 ans, plus de 150 stations de ski ont fait faillite en Suisse. Selon Heidi.news, près de la moitié (- 42% en 2022) des domaines skiables ont fermé depuis les débuts de l’industrie du ski. Le Valais est le canton le plus touché par les fermetures, et cela ne devrait pas s’améliorer avec le temps.
Le tourisme hivernal, une invention suisse…
Pourtant, au départ, l’idée relevait du génie… et d’un brin de folie. C’est en 1864 à St-Moritz, qu’un hôtel de montagne ouvre ses portes pour la toute première fois en hiver. La légende raconte que Johannes Badrutt, le propriétaire des lieux, aurait parié avec des touristes anglais : «Revenez cet hiver et si cela ne vous plaît pas, votre séjour sera remboursé !» Pari gagné, le tourisme hivernal est né. Les sports d’hiver sont inventés pour occuper la clientèle : «À cette époque, les Suisses ne représentent qu’environ 10% des voyageurs. Il y avait beaucoup d’Anglais, qui ont toujours été les touristes les plus fidèles de la Suisse. Ce sont leurs alpinistes qui ont conquis les sommets des Alpes; de quoi faire rêver les autres Britanniques qui ne pouvaient pas y accéder. Les hôteliers suisses leur ont donné la possibilité de voir les montagnes», explique Evelyne Lüthi-Graf, ancienne directrice des Archives hôtelières suisses.
Avec le réchauffement climatique, la belle histoire du ski de loisir touche-t-elle à sa fin ? «Non, bien sûr que non, pas tout de suite !” s’exclame Manu Broccard, professeur à l’Institut du Tourisme à la haute école de Sierre. «On ne peut pas abandonner un produit qu’on a vendu pendant plus de 100 ans en un claquement de doigts. Le ski reste la colonne vertébrale du tourisme helvétique. Cet hiver a même battu des records en termes de fréquentation des domaines skiables, avec l’explosion des ventes de Magic Pass cette année. Dire que le ski est un produit mort, c’est totalement fou !»
On ne peut pas abandonner un produit qu’on a vendu pendant plus de 100 ans en un claquement de doigts
Manu Broccard, professeur à l’Institut du Tourisme de Sierre
… en pleine mutation
Pour autant, le tourisme hivernal est obligé de se diversifier : «L’hiver deviendra de moins en moins important, et il va falloir mettre l’accent sur d’autres produits et d’autres saisons. La stratégie de Suisse Tourisme est de faire de l’automne une troisième saison très forte, avec notamment, la brisolée, la chasse et les vendanges», résume le spécialiste.
Historiquement tournée vers l’étranger, le tourisme alpin revoit également son public cible : «Il faut communiquer sur la proximité. Attirer des clients suisses, mais plus longtemps. Le tourisme alpin a beaucoup misé sur les familles, dépendantes des vacances scolaires. L’idée aujourd’hui, c’est d’aller chercher les jeunes retraités ou des adultes sans enfants», précise Manu Broccard.
Emmanuel Salim, chercheur à l’Institut de Géographie de l’UNIL, observe lui aussi une évolution de la stratégie des acteurs touristiques : «La promotion de la montagne présente de plus en plus ce lieu comme un sanctuaire de fraîcheur en été. On voit aussi que miser sur l’image des glaciers n’est pas une solution durable. Désormais, on vend moins leur esthétique mais plutôt leur aspect historique ou scientifique.»
Pour l’heure, cette stratégie fonctionne. Le record de nuitées (42,8 millions) a même été enregistré en 2024. Le tourisme suisse ne devrait pas abandonner de sitôt les montagnes.