«Des mois voire des années avant un retour massif». Gérald Béroud, sinologue et fondateur de l’entreprise SinOptic, est clair : le tourisme chinois en Suisse n’est pas prêt de reprendre, et en tout cas pas comme avant. Interview.
- Gérald Béroud, quel a été l’impact du Covid-19 sur le tourisme chinois en Suisse?
C’est un effondrement. On est passé de près d’un million et demi de nuitées par an à 120’000 l’année dernière. Depuis début 2020, plus rien ne circule. Le gouvernement chinois a interdit à ses employés de sortir du pays. Et si les fonctionnaires ne voyagent pas, la population encore moins.
- Avant la pandémie, le nombre de touristes chinois accueillis en Suisse ne faisait qu’augmenter, atteignant 1,6 million de nuitées en 2019. Comment expliquez-vous cette attractivité ?
La Chine a une image dithyrambique de la Suisse. Notre pays est réputé pour sa stabilité politique, la qualité de ses produits et la beauté de ses paysages. Mais les Chinois apprécient également le fait que la Suisse ait reconnu la République populaire de Chine dès 1950, bien avant la grande majorité des pays occidentaux.
Cette reconnaissance a créé les bases d’une relation solide entre les deux nations. Nombreux sont les dirigeants et touristes chinois qui sont venus nous rendre visite depuis.
- Justement, dans quelles localités se rendent-ils?
Il faut savoir que le tourisme chinois en Suisse a longtemps été un tourisme express. Des dizaines de visiteurs entraient par Genève, se rendaient au Musée olympique à Lausanne, puis à la Jungfrau, à Lucerne et enfin à Zurich. En 2019, la durée moyenne de leur séjour était d’1,4 jour.
Auparavant, le modèle se résumait à cela: des grands groupes qui se rendent dans plusieurs destinations en très peu de temps. Ces dernières années, les choses ont commencé à changer.
- De quelle façon ?
Le tourisme chinois a tendance à devenir plus individuel. Moins de grands groupes ou d’entreprises, davantage de familles et de personnes seules, qui passent un certain temps sur place. Encore une fois, c’était une évolution qui se dessinait avant la pandémie. Maintenant, il est très difficile pour les Chinois de se rendre en Suisse.
- Pourtant, l’Office fédéral de la santé publique a reconnu les deux vaccins chinois et propose même un certificat suisse aux voyageurs…
C’est vrai. Néanmoins, le problème pour les Chinois n’est pas la venue en Suisse, mais le retour. Car en rentrant chez eux, ils s’exposent à deux semaines de quarantaine dans un hôtel ainsi qu’une semaine de surveillance supplémentaire à leur domicile.
Par conséquent, très rares sont les habitants qui osent franchir le pas. Il va falloir des mois voire des années avant qu’on observe à nouveau un flux de visiteurs chinois en Suisse.
- Et pourquoi cela?
Le gouvernement chinois a toujours insisté sur le fait que la seule voie possible pour sortir de la pandémie était un contrôle stricte des contaminations. Ils ont critiqué à plusieurs reprises la gestion de la pandémie en Europe, jugeant les autorités incapables de protéger leur population. Ce discours a énormément de vigueur auprès des Chinois.
Maintenant, il va falloir restaurer la confiance. La situation sanitaire n’est toujours pas stabilisée en Europe. Tant que les Chinois jugeront les conditions d’accueil inappropriées, ils ne reviendront pas.
- La pandémie aura donc provoqué de profonds changements.
Assurément. Premièrement parce que le retour des Chinois est loin d’être imminent, mais aussi parce que leur manière de voyager évolue. Les Chinois sont des personnes prudentes, ils vont organiser des voyages en petits groupes ou avec leurs proches.
- Le surtourisme serait-il remis en question?
Avant la pandémie, des voyages de récompenses étaient organisés pour des centaines d’employés d’une même entreprise. Ceux-ci posaient de sérieux problèmes logistiques (logement, transport, etc.). Je ne pense pas que des excursions de cette envergure vont reprendre de sitôt. Néanmoins, une solution pour lutter contre le surtourisme pourrait être une diversification de l’offre touristique.
- La Suisse devrait donc varier son offre?
Exactement. Il faut mettre en place des itinéraires plus étendus, plutôt que de suivre un tour «classique» en se rendant à Genève, Lucerne et Zurich. Une fois, lors de l’accueil d’une délégation, nous étions allés à Glacier 3000 et avions dormi au Pont dans la vallée de Joux. Pour les Asiatiques, voir une Suisse hors des sentiers battus et rebattus, c’était une expérience unique.
Diversifier les offres touristiques et visiter des endroits qui sont en dehors du circuit habituel est une possibilité à envisager de manière approfondie. Cela incitera ainsi les Chinois à passer un peu plus de temps sur le sol suisse. Quand ils reviendront.
- Leur retour doit-il être préparé?
Bien entendu. Proposer des trajets diversifiés, améliorer la structure d’accueil, augmenter le nombre de guides professionnels et formés. L’accueil de familles diffère de celui d’un grand groupe d’une centaine de personnes.
En outre, les Chinois sont très exigeants lorsqu’ils voyagent. Et avec la pandémie, je ne pense pas que cette exigence se soit essoufflée, bien au contraire. Il y aura encore davantage d’attentes par rapport à la sécurité et à la salubrité. Là sont les véritables défis du tourisme en Suisse : si les touristes asiatiques reviennent, il faudra être prêt à les accueillir.
Par Estelle Liechti
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Atelier presse”, dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.