Les actions de désobéissance civile d’activistes pour le climat se sont multipliées ces dernières années. Leur but ? Pousser les États à prendre des mesures concrètes contre le changement climatique. Mais quelles suites judiciaires en découlent ? Éclairage.
Dans l’actualité récente, nous avons vu des activistes souiller des œuvres d’art dans différents musées. En Suisse, les actions de Renovate – avec des personnes se collant littéralement au bitume et bloquant des routes – ont également fait parler d’elles. Plus loin dans le temps, des blocages de banques, de places ou de centres commerciaux ont fait grand bruit dans notre pays.
Depuis 2018, une vingtaine de procès liés à ces actions ont eu lieu en Suisse. Les arrêts des tribunaux se multiplient, mais ne se ressemblent pas.
Un cas emblématique
Un des premiers procès climatiques naît de l’action entreprise par des militants de Lausanne Action Climat (LAC). Ils avaient organisé, en novembre 2018, une partie de tennis dans les locaux d’une filiale lausannoise du Credit Suisse pour dénoncer les investissements dans les énergies fossiles de la banque.
Jugés pour violation de domicile, les 12 activistes ont d’abord été acquittés par le Tribunal de police de Lausanne, avant d’être condamnés en deuxième instance, suite à la décision d’appel du Ministère public vaudois.
Du Tribunal fédéral à la CEDH
Suite au recours des membres de LAC contre la condamnation en deuxième instance, le Tribunal fédéral a tranché pour la première fois sur la question. La Cour suprême a rejeté leur demande arguant que l’état de nécessité licite ne justifie par leur action illégale : la condition de l’existence d’un danger imminent n’étant pas réalisée.
Cette décision est importante, car elle sert de jurisprudence en matière de désobéissance civile dans la lutte contre le changement climatique.
En novembre 2021, 4 des 12 militants saisissent la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour défendre leur droit à la liberté d’expression et de réunion. Ils souhaitent être acquittés par la plus haute juridiction possible et ainsi inverser la jurisprudence défavorable.
Quels enjeux derrière ces procès ?
Destinés à être toujours plus fréquents, les procès climatiques sont porteurs de beaucoup d’enjeux. Les juges doivent à chaque fois décider s’ils se trouvent face à un acte de désobéissance civile punissable, ou justifiable par l’urgence climatique. L’enjeu pour les activistes est de de faire reconnaître la notion d’état de nécessité, critère qui les acquitterait, ou du moins allègerait leur peine.
À l’heure actuelle cependant, son application est assez floue et semble plutôt relever de l’arbitraire. Les variations régionales et les révocations de décisions d’une instance à l’autre sont fréquentes, ce qui traduit une certaine discordance.
Outre celui d’état de nécessité, le critère de proportionnalité est lui aussi primordial, et a fait parler le mois dernier, lorsqu’on a jugé les militants du climat ayant perturbé le Black Friday en 2019. Tous ont finalement été acquittés, mais les cas de chacun ont été examinés et sanctionnés proportionnellement à leurs actes, allant de la simple manifestation silencieuse au fait de s’enchaîner à des caddies. Un procès récent qui montre les premiers effets de la jurisprudence de la CEDH et qui servira sans doute d’exemple pour le futur.
Enfin, un autre enjeu est celui de la médiatisation des procès. Chaque étape supplémentaire des procès offre une visibilité accrue aux activistes et à leurs revendications dans l’agenda médiatique. Lorsque des condamnations sont au bout, cela peut aussi contribuer à l’image de martyr que se fait le grand public de ces militants.
Les impacts des procès
Nous constatons que la multiplication des procès dans de nombreux de pays européens, qui sont pour certains remontés jusqu’à la CEDH, a permis de faire bouger les lignes au niveau juridique dans notre pays.
Premièrement, ils ont donné des outils aux juges suisses pour les aider à délivrer leurs décisions. Ainsi, par exemple, lors de l’acquittement par la cour d’appel pénal cantonale des militant·es ayant bloqué un centre commercial à Fribourg, les juges se sont basés sur une jurisprudence de la CEDH estimant qu’un acte ayant pour but de contribuer au débat de société relatif au changement climatique ne peut être puni pénalement.
Deuxièmement, les différents procès de ces dernières années ont amené les avocat·e·s suisses sensibles aux questions climatiques à se mobiliser et à créer une association. En septembre dernier, l’association des « avocat·e·s pour le climat » a vu le jour. Celle-ci entend être pro-active sur les questions climatiques et «concrétiser le droit à un environnement propre, sain et durable». Elle aussi se dit prête à monter jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme si nécessaire. Les procès climatiques ont de beaux jours devant eux.