Face au recul de la Genève internationale, les écoles privées sous pression – JAM

Face au recul de la Genève internationale, les écoles privées sous pression

À l'École Internationale de Genève, ainsi que dans d'autres instituts de Suisse romande, les enseignants constatent l'incertitude des parents qui travaillent dans les organisations internationales. (Photo: Keystone/Salvatore Di Nolfi)

L’exode des multinationales bouscule depuis plusieurs années les écoles privées. Ces difficultés ne sont pas nouvelles, mais sont accentuées par les récentes coupes budgétaires décidées par Donald Trump. Ces écoles, dépendantes des élèves internationaux, essuient une nouvelle tempête. 

Cet article appartient à la série Ce nouveau marché privé de l’éducation consacrée aux grands changements que subit actuellement l’économie de la formation.
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Les écoles privées, fragilisées par l’exode des multinationales, sont mises à mal par les coupes américaines. Cette nouvelle vient bouleverser la donne pour des institutions pourtant solidement ancrées en Suisse depuis des décennies. Dès les années 1950, le pays s’impose comme un terreau privilégié pour ce type d’institutions, en particulier le canton de Genève, où près de 20 % des élèves sont inscrits dans le privé – un chiffre largement supérieur à la moyenne nationale, qui avoisine les 5 %, selon l’annuaire statistique de l’enseignement du canton.

Au sein de ces établissements, divers profils se distinguent parmi les élèves, détaille la sociologue spécialiste des élites étrangères et de l’éducation, Anne-Sophie Delval. Il y a les élites internationales qui placent leurs enfants dans des pensionnats de prestige. Ces internats dépendent donc peu de la conjoncture économique locale. Viennent ensuite les expatriés employés par des organisations internationales comme l’ONU. Les frais de scolarité de cette clientèle étrangère sont souvent couverts par les institutions ou les employeurs. Les écoles privées accueillent aussi des familles suisses ou résidentes, qui recherchent une alternative au système public, généralement motivée par des considérations pédagogiques ou culturelles.

Cette situation est fragile pour les écoles privées, car le nombre d’élèves dépend fortement de la présence des ONG dans la région. « Si ces structures quittent la Suisse ou le canton, certaines familles s’en vont et leurs enfants désertent les écoles privées locales, explique Barbara Fouquet-Chauprade, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève. D’autres font le choix de rester, mais ne peuvent plus assumer les frais scolaires. Résultat : les enfants sont inscrits dans des écoles publiques et gratuites. »  

Cet exode des élèves internationaux a déjà été fatal à certaines écoles privées en Suisse romande. La dernière en date : la GEMS World Academy Switzerland à Etoy, dans le canton de Vaud. L’école a été contrainte de fermer ses portes à l’été 2019, notamment à cause d’une croissance de la population internationale moins forte que prévue dans la région, selon leur porte-parole. 

Forte dépendance aux “internationaux”

L’exode progressif des sièges de multinationales représentait déjà un défi pour les écoles internationales suisses. Et ces dernières ont encaissé un nouveau coup bien plus dur en début d’année, venu de Washington. Par décision de Donald Trump, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a suspendu ses financements: plus de 20 milliards de dollars destinés à une quarantaine d’organisations basées à Genève (principalement des organisations internationales, comme par exemple l’OMS, et des ONG).

Les répercussions n’ont pas tardé à se faire sentir pour les écoles privées de la Côte. « Nous ressentons une certaine nervosité chez les parents qui travaillent, par exemple, à l’ONU, et nous essayons de les soutenir », confie Conrad Hugues, directeur de l’École internationale de Genève. « Des changements pourraient survenir, mais nous ignorons quand et sur quelles entreprises ils porteront . »

Même constat à la British School of Geneva, où près de la moitié des 300 élèves viennent de familles expatriées. La date limite d’inscription pour la rentrée de septembre tombant à la semaine de Pâques, une dizaine de familles ont déjà demandé un report. « Certaines ignorent si elles auront encore droit aux aides financières, d’autres ne savent même pas si elles resteront en Suisse », explique Sabine Hutcheson, directrice des admissions, qui s’attend à une nette baisse des effectifs pour l’année scolaire à venir. Au Collège du Léman, également basé à Genève, dix élèves sur 1’800 ont déjà quitté l’établissement. Mais au-delà du nombre d’élèves, c’est la hausse des demandes d’aide financière émanant de familles déjà inscrites qui traduit l’impact direct de la politique américaine.

Un horizon flou pour l’enseignement privé 

Malgré ces signaux, les représentants des écoles semblent rester sereins. Ils se réjouissent de pouvoir compter sur la présence constante – voire dans certains cas croissante – de leur clientèle suisse et sur la flexibilité dans la gestion des ressources et du personnel. Cependant, pour la chercheuse Léonora Dugonjic-Rodwin, qui a étudié de près le contexte historique des écoles privées en Suisse romande, le ciel n’est pas si clair: « On peut clairement parler d’une dépendance de ces structures à l’égard des élèves internationaux. Les élites suisses ne suffiraient pas à garantir le financement de ces écoles ». 

Plus encore qu’un départ massif, inimaginable à court terme, c’est la détérioration de la relation avec l’État américain qui doit préoccuper les écoles, rappelle la chercheuse : « À chaque fois qu’il y a eu une crise, ce sont les États-Unis qui ont sauvé les écoles privées suisses par des donations. Mais si ce lien cesse d’exister, comment feront-elles ? », questionne-t-elle. Il est difficile de se projeter à long terme pour les écoles privées, car le gel du financement de l’USAID est, pour l’instant, limité à 90 jours, jusqu’à fin avril. Le risque est que l’incertitude qui règne actuellement ne se transforme en réelle crise.

Par Antonio Fontana, Alik Garibian, Oriane Le Meur & Cléa Robert
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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