Le manque de neige et les saisons hivernales raccourcies mettent à mal l’imaginaire d’une Suisse saupoudrée d’or blanc. Pourtant, cette image est encore largement employée pour faire la promotion de notre pays. Les acteurs touristiques doivent s’adapter.
Roger Federer couché sur un tapis de feuilles, se ressourçant du contact avec les éléments. Telle est l’image diffusée par une récente vidéo de Suisse Tourisme louant les paysages automnaux. Une touche peu commune placée entre d’autres spots du Jungfraujoch englacé et de Verbier les skis aux pieds.
Les deux spécialistes que nous avons contactés l’observent clairement, les destinations alpines opèrent leur tournant 4 saisons. Et cette campagne incarnée par l’ex-star du tennis helvétique en témoigne. Si la démarche est devenue particulièrement visible ces dernières années, elle n’est toutefois pas si récente. «Cela fait déjà 30 ans que l’on réfléchit à vendre l’automne et proposer plus d’événements pour l’été», rappelle Manu Brocard, professeur associé à l’Institut du tourisme de la HES-SO Valais. Des stations comme Zermatt ou Crans-Montana bénéficient d’un été fort depuis longtemps, respectivement grâce à l’alpinisme et aux compétitions de golf.
«Cela fait déjà 30 ans que l’on réfléchit à vendre l’automne et proposer plus d’événements pour l’été»
Manu Brocard, professeur associé à l’Institut du tourisme de la HES-SO Valais
Attirer de nouveaux publics
Il insiste cependant sur l’importance de développer et promouvoir des produits touristiques hors des périodes hivernales. «Ils sont nécessaires pour aller chercher de nouvelles clientèles pour ces autres saisons», par exemple auprès des personnes qui ne dépendent pas des vacances scolaires. Les DINKS (pour Double Income No Kids), à savoir les couples sans enfants, ainsi que les jeunes retraités constituent un public à cibler pour combler ces périodes creuses, selon l’expert. La randonnée, le VTT ou la gastronomie font partie des pistes de diversification.
À la recherche d’îlots de fraîcheur
Neige ou pas, la montagne reste centrale dans la promotion et l’identité touristique de la Suisse. Mais son image change: «La montagne est de plus en plus mise en valeur en été», remarque Emmanuel Salim, maître de conférences en géographie à l’Université de Toulouse Jean Jaurès et chercheur associé à l’Université de Lausanne. Il observe que les régions d’altitude sont toujours plus présentées comme des refuges face aux températures caniculaires des plaines. «En France par exemple, dans le Massif des Cévennes, le Mont Aigoual est vendu par le département du Gard comme un sanctuaire de fraîcheur».
Mais en parallèle, la promotion des sites glaciaires (l’Aletsch Arena ou le Glacier du Rhône par exemple), symboles du froid, est reconfigurée. «Dans certains cas, les acteurs touristiques ont bien compris que tout axer sur l’image du glacier n’était pas une solution durable. Le visuel du glacier blanc, du glacier bleu et immense commence à ne plus correspondre à la réalité. La promotion évolue donc vers des aspects plutôt historiques, scientifiques ou culturels, et non plus son esthétique en tant que tel», analyse Emmanuel Salim. Même s’il note que cet imaginaire peut conserver une vocation pédagogique, en révélant l’ampleur et l’influence des changements climatiques sur nos paysages.
L’hiver ne disparaîtra pas
Malgré ces évolutions, les deux spécialistes estiment que la neige restera une composante importante de l’imaginaire touristique helvétique à l’avenir. Même si les flocons sont moins abondants et disparaissent plus tôt dans la saison, ils continuent à tomber en suffisance pour permettre l’ouverture des domaines skiables, du moins ceux à plus haute altitude. S’il plaide pour davantage de promotion sur l’automne et l’été, Manu Brocard refuse d’abandonner la glisse : «L’hiver restera toujours la saison phare. Dire que le ski est un produit mort, c’est totalement fou.»