La Suisse est l’un des derniers pays européens à interdire la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires. Thalia*, comme de nombreuses autres, s’est rendue en Angleterre pour accéder à la PMA. Elle raconte la maternité sans partenaire.
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Cet article fait partie d’un dossier consacré à la famille traditionnelle en Suisse: exploration de son évolution, des débats qu’elle suscite et des tensions qu’elle cristallise encore aujourd’hui. L’ensemble des articles est à retrouver ci-dessous.
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Devenir une maman célibataire, un défi en Suisse. Pour accéder à la procréation médicalement assistée, les femmes seules doivent se rendre à l’étranger. Un projet qui engendre, entre-autres, des coûts importants. Ainsi, certaines optent pour des options moins sûres: groupe Facebook de donneurs de sperme ou encore arrangements amicaux. Cela pourrait bientôt changer. Fin mars, six conseillers nationaux – un par parti – ont chacun déposé un texte identique lors de la session parlementaire à Berne. Ils y demandent l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires. Un projet de loi est attendu d’ici à la fin de l’année.
Une famille « solo-parentale recomposée »
Thalia* fait partie des concernées. Pour elle, les enfants sont «un vrai projet de vie». C’est avec son ex-compagnon qu’elle a eu sa première fille, il y a dix ans. Puis, séparée, elle s’est rendue seule en Angleterre pour accéder à la PMA. De son voyage est né son fils. Il a deux ans aujourd’hui. «J’aime à dire que nous sommes une famille solo-parentale recomposée.»
En vacances à Bristol avec ses deux enfants, elle raconte au téléphone sa maternité atypique. «Je m’imaginais devenir mère avec un conjoint, une maison, un chien et deux enfants. Parce que c’est ce qu’on raconte aux petites filles, surtout à une certaine époque qui était la mienne. J’ai 45 ans». Après sa séparation, avoir un enfant seul s’impose comme une évidence. «Mais en même temps, c’était un vrai choix» : un modèle de famille en accord avec son histoire et ses valeurs.
Être maman solo, “c’est être une maman tout court.”
Thalia*, maman solo d’un enfant né de PMA
Aujourd’hui, pour elle, être maman solo «c’est être une maman tout court». «Et je peux vraiment dire qu’il n’y a aucune différence puisque j’ai élevé deux enfants, dont un avec un papa», relève-t-elle. Pour comprendre les réserves qu’on lui oppose, elle jette un regard en arrière. «Le droit de vote des femmes, c’est 1971. Voilà d’où l’on vient. Mais je pense que dans 20-30 ans, les gens s’y seront faits.» Elle est catégorique : «Un enfant n’a pas besoin d’un père ou d’une mère, mais d’une personne. Des enfants qui grandissaient sans père, il y en avait déjà plein. Là, au moins, par PMA, c’est un vrai choix».
Obstacles et tabous
«L’un des derniers freins, c’était : avais-je le droit de faire un enfant seule ? Jusqu’au bout, ce tabou du droit, du regard des autres, est resté présent». Porter son regard sur d’autres pays l’a aidée à reprendre confiance en elle. «Dans d’autres pays, c’est juste normal». La Suisse est l’un des derniers États européens à interdire la PMA aux femmes célibataires. Alors, nouveau projet politique ou non, «les femmes n’ont pas attendu que la loi change pour faire des bébés. Si elles ne le font pas en Suisse, elles le font ailleurs», témoigne Thalia.
Si elles ne le font pas en Suisse, elles le font ailleurs.
Thalia*, maman solo d’un enfant né de PMA.
«L’un des derniers freins, c’était : avais-je le droit de faire un enfant seule ? Jusqu’au bout, ce tabou du droit, du regard des autres, est resté présent». Porter son regard sur d’autres pays l’a aidée à reprendre confiance en elle. «Dans d’autres pays, c’est juste normal». La Suisse est l’un des derniers États européens à interdire la PMA aux femmes célibataires. Alors, nouveau projet politique ou non, «les femmes n’ont pas attendu que la loi change pour faire des bébés. Si elles ne le font pas en Suisse, elles le font ailleurs», témoigne Thalia.
Des fondements «discutables»
En 2013 déjà, la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine (CNE) jugeait «discutable» l’interdiction de la PMA aux femmes célibataires. «Les différentes formes de familles ne peuvent pas garantir, par leur simple structure, le bien de l’enfant.». Cette condition représenterait « une discrimination », notamment pour les personnes seules. Le rapport relève qu’il est dans la « nature » de l’institution de la famille de pouvoir «intégrer des changements qui reflètent de nouveaux besoins au sein de la population».
Dans un rapport sur le don de sperme, la CNE affirmait en 2019 que la loi sur la PMA « ne rend pas justice aux développements internationaux: le don de sperme à l’étranger est particulièrement important pour les couples de même sexe et les personnes seules ». Si le texte déposé en mars par les députés évoque principalement le don de sperme, il n’exclut pas le don d’ovocytes — une ouverture qui pourrait aussi concerner les pères célibataires.