La décolonisation s’empare du Musée d’ethnographie de Genève (MEG) à travers une nouvelle exposition : injustice environnementale – alternatives autochtones. L’installation retrace les savoirs de peuples autochtones pour contrer le réchauffement climatique. Un projet né d’une collaboration active et d’un consentement préalable. Explications.
S’inspirer des populations autochtones pour combattre le réchauffement climatique : c’est le point de mire de la nouvelle exposition temporaire injustice environnementale – alternatives autochtones du Musée d’ethnographie de Genève (MEG). L’exposition emmène le visiteur aux quatre coins du monde à la découverte de savoir-faire de ces peuples pour pallier la dégradation de l’environnement.
Les grèves pour le climat de 2019 ont motivé Carine Ayélé Durand, co-curatrice du projet et conservatrice en chef du MEG, à traiter de cette problématique. « C’est une question contemporaine, un enjeu sociétal », souligne-t-elle. Naturellement lui est venue l’idée d’exposer la vision de ces peuples. D’une part, parce qu’ils sont directement touchés par le problème. D’autre part, parce qu’ils mettent en place des alternatives pour y remédier.
Travail avec les principaux concernés
Représentants de populations autochtones ou experts juridiques, tous ont participé à la réalisation de ce projet débuté en 2019. La co-curatrice du projet a également souhaité collaborer avec des artistes spécifiques. « On s’est associé avec des artistes contemporains qui étaient tous impliqués et concernés directement, sur leur propre territoire, par ces questions climatiques », précise-t-elle.
L’exposition contient cinq parties, chacune composée de créations, témoignages ou poèmes de peuples autochtones. Le visiteur peut écouter les poèmes en musique d’une artiste des îles Marshall. Il peut contempler les peintures colorées d’aborigènes australiens ou se laisser bercer par les contes d’un poète Ts’mysen, natif d’Alaska.
Carine Ayélé Durand affirme qu’ « obtenir la confiance des communautés sources est important ». C’est un moyen « d’être en connexion, en reconnexion avec ces personnes ». En effet, pour certains natifs, les musées exposent leurs productions comme des reliques d’un temps révolu. C’est une nouvelle responsabilité que le MEG prend au sérieux : collaborer pour mieux représenter. Pour la conservatrice du musée, il faut « renforcer le lien entre les objets exposés et leurs descendants ».
Décoloniser les musées
Cette exposition s’ancre dans un nouveau plan stratégique du MEG qui se déploie de 2020 à 2024. Décolonisation, collaborations, durabilité et inclusions sont les nouveaux objectifs du musée. Le passé colonial de l’ethnographie a poussé le directeur du MEG, Boris Wastiau, à se positionner de manière critique face à la discipline. Afin de « décoloniser » le musée, il cherche, entre autres, à comprendre les relations de pouvoir, respecter l’autodétermination des personnes représentées ou encore soutenir les échanges et la collaboration.
C’est un fait : de nombreux objets ont été acquis sans le consentement libre, préalable et éclairé des populations concernées. Pour Carine Ayélé Durand, il est de la responsabilité du musée de retrouver les propriétaires légitimes afin d’obtenir leur consentement. Une question subsiste : si d’ici quatre ans le consentement n’est pas absolu, que faire des objets ? Pour la conservatrice, « il faudra peut-être prendre la décision de ne pas les exposer ».
Décoloniser : Le processus de « décolonisation » est un mouvement réflexif sur le passé colonial. De nombreux objets exposés dans les musées suisses ont été acquis pendant la période coloniale. En questionnant l’héritage de ces objets, les musées cherchent à « décoloniser » leurs pratiques notamment en étant en relation avec les parties prenantes tout en les investissant dans le processus de création des discours.
Pour en savoir plus sur le passé colonial de la Suisse, lire le dossier la Suisse coloniale, le Temps, 2021.
Pratique : L’exposition est visible jusqu’en août 2022 au Musée d’Ethnographie de Genève.
Mathilde Jaccard
crédits photos : © 2021 Musée d’ethnographie, Genève