Sous les bombes russes, l’Ukraine a plus que jamais besoin de médias forts et indépendants. Si la demande d’informations de qualité est grandissante, les revenus des médias sont quant à eux en chute libre… Dès lors, comment assurer la survie économique d’un média dans cette chaotique réalité ?
« Les médias ukrainiens sont importants, nous ne pouvons pas les laisser périr ». Ces mots sont ceux de Jakub Parusinski, rédacteur à TheFix, directeur de Jnomics, et CFO du Kyiv Independant, lors d’une conférence donnée dans le cadre du festival du journalisme de Perugia. Sur son pull, les spectateurs distinguent le slogan « Support Ukraine’s Media », imprimé au-dessous d’un micro jaune et bleu tendu parmi les flammes. Il poursuit : « Nous avons derrière nous environ 44 jours de guerre, donc très peu de sommeil. Nous vous remercions de votre compréhension ». Son collègue Gayggysyz Geldiyev explique que les ambitions du magazine TheFix, qui se veut être un « média pour les médias », ont été totalement revues depuis le début du conflit. « Nous sommes devenus une organisation qui aide les médias. Car l’impact de la guerre sur l’écosystème médiatique ukrainien est énorme… ».
Depuis fin février pourtant, les chiffres concernant le lectorat ont atteint des sommets. Les yeux rivés sur leurs écrans, les Ukrainiens s’abreuvent de contenu médiatique pour suivre l’évolution du conflit minute par minute. A titre d’exemple, le média Ukrayinska Pravda a enregistré un augmentation de +380% des pages consultées. Selon LeMonde, le Kyiv Independent compte aujourd’hui 1,6 million d’abonnés à son compte Twitter contre 20 000 avant le début de l’invasion russe. Sur les réseaux sociaux, de nombreux journalistes ukrainiens se félicitent de ce bond d’audience.
Mais alors, pourquoi augmentation du lectorat n’est pas synonyme d’un avenir économique serein ? Les explications de Jakub Parusinski.
Pour assurer la survie économique des médias ukrainiens, à court, moyen et long terme, de nombreuses initiatives ont été mises en place. Tous les moyens sont bons pour récolter des fonds. Tandis que certains médias se sont lancés sur le site de crowdfunding Patreon, d’autres vendent des NFTs sur la plateforme VAULT. Le projet le plus efficace à ce jour est le financement participatif entrepris par une coalition comprenant The Fix, Are We Europe, Jnomics et la Media Development Foundation.
Malgré tout, l’argent n’est pas la solution à tous les problèmes. « La levée de fonds représente 5 à 10% de notre travail. 50% du travail concerne la logistique », relève Jakub Parusinski lors de la conférence. « Une fois que les fonds sont récoltés, il faut se fournir, transporter, livrer le matériel. A chaque étape il y a des problèmes à résoudre, des checkpoints à passer ». Et dans la situation actuelle, chaque seconde compte. Sur le terrain, les journalistes subissent des attaques quotidiennes, sont arrêtés, voir tués.
Jakub Parusinski et sa vingtaine de collègues impliqués dans ce projet d’aide aux médias ukrainiens ont d’ailleurs profité du festival international de journalisme de Perugia pour visibiliser leur action. Une charte de soutien a été signée par de nombreux membres, partenaires et volontaires en fin de manifestation.
Par Sophie Gremaud
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Production de formats journalistiques innovants”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.