Mark Henley, exprimer l’abstraction diplomatique

Photographe de presse anglais, établi à Genève depuis trois ans et en Suisse depuis seize, Mark Henley a remporté le Swiss Press Photo Award en 2011, pour un travail sur les banques, et en 2014 pour sa série sur les négociations nucléaires iraniennes.

«C’est très simple d’aller à l’étranger et d’en ramener des images exotiques. Moi ce que je veux c’est faire des images justes.» À 48 ans (dont dix années passées en Asie et presque une douzaine en Suisse), Mark Henley a sillonné le monde, pour des reportages photographiques, et en est revenu. Il suit désormais l’actualité internationale depuis Genève. «Pas besoin de partir, tout le monde est là!», s’exclame-t-il. Tout le monde, vraiment? «Tenez, ce matin j’étais à l’ONU pour suivre la conférence sur le désarmement et dans les couloirs, j’ai vu les représentants sud et nord-coréens se serrer la main ! J’ai raté la photo de justesse… Mais ce sont des images uniques!»

La photographie comme échappatoire

Au départ, la photographie ne s’impose pas à Mark Henley. Après des études de littérature, il quitte l’Angleterre à la fin des années 1980. «Je voulais à tout prix partir de ce pays qui venait de réélire Margaret Thatcher pour la troisième fois.» Ca sera l’Inde d’abord, puis la Chine. En voyage, il écrit. «Mais c’était les mots des autres qui me venaient. Quand je me relisais, je retrouvais Raymond Chandler, les auteurs américains, mais ça n’était pas ma voix.» Il prend alors un appareil photo avec lequel il trouve très vite ses marques.

«Peut-être parce que je ne l’ai pas étudiée, je me sentais plus libre avec la photo. C’était intéressant parce que l’image est presque amorale, elle crée sa propre vérité.»

Une vision qui guidera son travail jusqu’à aujourd’hui où il tente d’inventer un langage visuel pour parler des négociations sur la Syrie ou des banquiers en crise, au delà des clichés.

Fascination orientale

En juin 1989, au moment des manifestations de la place Tien An Men, il se trouve par hasard dans les provinces chinoises. «J’ai été choqué du décalage entre les visions de la Chine que j’avais avant de partir et la réalité que j’ai vu. Au niveau visuel, les Occidentaux restent fascinés par la Chine. Les reporters n’en ramènent souvent que des ‘chinoiseries’: des images d’un romantisme terrible mais écrites avant même de partir.» Il n’aura cesse dès lors de suivre ce pays en mutation. «C’est presque un cliché mais personne à l’époque ne voyait la Chine devenir ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Le gouvernement chinois parle de planification mais à mon avis, ‘they just make it up as they go along’», s’exclame-t-il en riant.

S’il est revenu de ses années de reportage, le ballet diplomatique ne l’amuse pas moins: «J’ai assisté par hasard à une cérémonie pour les casques bleus à l’ONU. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais pas nécessairement à une cohorte de vieillards russes barbus…» Un monde diplomatique dont il regrette qu’il suscite si peu d’intérêt, mais qui lui laisse l’occasion d’explorer de nouvelles formes.

«Les images officielles des conférences sont uniquement illustratives et les sujets ne sont pas très visuels. J’essaie d’éclairer le fond par la forme, de suivre les négociations parallèles mais souvent je suis le seul photographe de presse, pourtant c’est les grands enjeux qui sont traités ici. J’aime le challenge de chercher un nouveau langage visuel.»

Un travail qui porte ses fruits, puisqu’il a reçu deux fois le Swiss Press Photo Award en 2011 et 2014, pour des sujets très abstraits (la crise dans les banques suisses et les négociations nucléaires iraniennes).

Amoureux d’une Genève internationale

Aujourd’hui, il prépare un travail sur la City londonienne. «La question que je me pose c’est ‘comment mettre en image un concept comme l’argent?’»
Après dix ans passés en Asie, le photographe s’est installé en Suisse en 1998, d’où il a continué à voyager avant de s’établir six ans à Zürich puis de revenir à Genève où il réside depuis trois ans.

Malgré une séparation, qu’il déplore, entre la ville de Genève et l’univers des organisations internationales, la ville est pour lui un bon compromis: «Il se passe plein de choses à Zürich, mais je préfère Genève. Dans notre monde globalisé, c’est un peu le méta-monde! Pour moi c’était une évidence de travailler à l’ONU. » Est-ce pour cela qu’il y reste? Il sourit: «Non, je suis venu parce que j’ai épousé une suissesse, mais je m’y plais. Dans l’école de mon fils aux Pâquis, il y a des enfants d’une vingtaine de nationalités. Ici, il y a un sens de ce qu’est le monde.»


Par Sarah Budasz

Article publié dans la Tribune de Genève

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