Alors que la tendance est au rejet de la pilule chez les femmes, le paysage contraceptif masculin en Suisse se résume au préservatif, au retrait et à la vasectomie. Enquête.
« Cela me paraît plus logique de tirer à blanc que de faire porter un gilet pare-balles. » Lorsqu’on lui parle de contraception, Alex, 28 ans, étudiant en naturopathie, ne mâche pas ses mots. Pourquoi ne pas rendre l’homme infertile plutôt que la femme ? Pour lui, la responsabilité ne devrait pas uniquement reposer sur la gente féminine. Cependant, aujourd’hui, si l’homme veut s’engager en ce sens, peu de choix s’offrent à lui. « Il n’y a pas de juste milieu. Entre s’enfiler un bout de caoutchouc et se faire ouvrir les testicules, je suis sûr qu’il existe un intermédiaire », complète Alex.
Il n’y a pas de juste milieu. Entre s’enfiler un bout de caoutchouc et se faire ouvrir les testicules, je suis sûr qu’il existe un intermédiaire.
Alex, 28 ans, étudiant en naturopathie
Plus de 50 ans de recherche et toujours pas d’équivalent masculin à la pilule sur les étalages des pharmacies. A l’heure des nanoparticules et de la médecine de précision, pourquoi la science n’est-elle pas en mesure d’offrir un contraceptif plus efficace et moins contraignant qu’un préservatif, et moins permanent et intrusif qu’une vasectomie ? Difficile de réunir sûreté de la méthode, efficacité, reversibilité et demande.
Un défi biologique
« A la différence de la femme qui ovule une fois par mois, l’homme produit des millions de spermatozoïdes par jour. Un traitement hormonal chez l’homme doit donc être mené durant plusieurs mois avant d’être effectif. » Serge Nef, chef de laboratoire au département de médecine génétique et de développement à l’Université de Genève, pose le principal défi d’entrée de jeu.
Comme l’explique le chercheur, l’injection de testostérone et de progestérone est possible pour inhiber la spermatogenèse, c’est-à-dire la production de spermatozoïdes. Ces hormones sexuels vont exercer un rétrocontrôle sur les parties du cerveau qui induisent la spermatogenèse, l’hypophyse et l’hypothalamus. Cependant le dosage doit être précis, car la testostérone est aussi responsable du maintien de la masse musculaire, de la production des globules rouges ou encore de la libido. S’ajoute à cela que tous les hommes ne réagissent pas de la même manière aux injections. « Difficile d’établir les raisons pour lesquelles certains hommes ne parviennent pas à passer sous le seuil des 1 millions de spermatozoïdes par millilitre à partir duquel l’homme est considéré comme stérile».
Autres défis: ceux de la réversibilité du traitement et des effets secondaires. Laurent Vaucher, urologue, en charge de la consultation de la fertilité masculine au CHUV, indique « le problème est qu’il reste des doutes quant au risque de cancer lié à l’utilisation de la testostérone chez l’homme, et que les autres méthodes ont toutes, à ma connaissance, démontrées des difficultés quant à la réversibilité du traitement ».
Il reste des doutes quant au risque de cancer lié à l’utilisation de la testostérone chez l’homme.
Laurent Vaucher, Urologue
Alternative aux hormones
Il existe des cibles potentielles au niveau de la fonction des gamètes. Serge Nef explique: « Le spermatozoïde, une fois produit, doit acquérir des fonctionnalités qui lui sont propres comme la mobilité, ou la capacité de féconder l’ovocyte. Ce sont des processus très spécifiques que l’on pourrait bloquer à l’aide d’enzymes et de protéines sans intervention au niveau hormonal».
Ainsi, les approches possibles semblent nombreuses bien qu’elles restent largement inexplorées. Comme le confirme Serge Nef et Laurent Vaucher, aucun groupe de recherche ne travaille actuellement sur le sujet en Suisse. « Le fait est qu’il existe une résistance sociale. Peu d’intérêt, donc peu d’argent. Les labos s’en lavent les mains », déplore Serge Nef.
Le fait est qu’il existe une résistance sociale. Peu d’intérêt, donc peu d’argent. Les labos s’en lavent les mains. »
Serge Nef, Biologiste, chef de laboratoire CMU Genève
Un marché incertain
Le groupe Bayer nous écrit avoir abandonné les recherches à ce sujet en 2007, suite à l’élaboration d’une méthode efficace et aux effets indésirables tolérables. En cause: le mode d’administration désagréable et l’incertitude de trouver un marché. Il s’agissait d’un implant à base de progestatif qui devait être placé dans le bras une fois par an par un médecin, et d’injections de testostérone administrées dans le muscle fessier environ tous les trois mois.
Pourquoi investir du temps et de l’argent pour produire un médicament qui viendrait concurrencer les pilules, peu coûteuses à produire, déjà sur le marché?
La réticence des labos pharmaceutiques à investir est claire. Pour Serge Nef, l’une des solutions serait de passer en institutionnel. Aux Etats-Unis, par exemple, c’est le Ministère américain de la santé (NIH) qui lance un nouvel essai clinique international en 2018 sur un gel contraceptif hormonal masculin. Cet essai marquera-t-il un tournant dans l’histoire contraceptive masculine ? Impossible de le savoir avant plusieurs années.
De plus, même si un produit était établi, encore faudrait-il que les boîtes pharmaceutiques investissent. Pour les industriels, difficile d’être certain de trouver des consommateurs dans le cas d’une mise sur le marché. Jean-Claude Soufir est l’un des deux seuls médecins prescrivant la contraception masculine hormonale en France. En Suisse il n’y en a aucun. Cet endocrinologue à de l’hôpital Cochin à Paris nous écrit que le profil des demandeurs est celui d’hommes dont la compagne ne supporte pas les méthodes actuelles de contraception féminine et que cette demande est réduite.
Et pourtant. Laurent Vaucher précise que la question revient très souvent, surtout chez les partenaires féminines.
Des chiffres qui donnent à réfléchir
- 4/10
C’est le rapport de femmes n’utilisant pas de contraceptif en Suisse romande, selon un sondage réalisé par Femina en 2017. - 10’256
C’est le nombre d’interruptions de grossesse en Suisse en 2016, selon l’Office fédéral de la Santé (OFS). -
1,85
Milliards de francs. C’est le bénéfice du groupe Bayer en 2016 pour ses deux familles de pilules les plus vendues (Mirena TM et Yaz TM, Yasmin TM et Yasminelle TM).
Une question de responsabilité
Virginie, 23 ans, est étudiante en journalisme. Comme son copain Alex, elle est persuadée que la responsabilité de la contraception devrait incomber aux deux partenaires.
Etablir une contraception masculine plurielle, est-ce une question secondaire? Pour ce couple, la réponse est non. Pour Serge Nef « la société devrait pouvoir offrir ce choix à tous». A l’heure où, selon l’Institut Guttmacher, 40% des grossesse au niveau mondial sont non-désirées repenser le paysage contraceptif sonne comme une évidence.