En raison de l’expansion du commerce en ligne, les communes urbaines suisses font face à une explosion des déchets de carton. Les comportements individuels de tri et le non-respect de certaines règles exacerbent cette problématique, saturant les points de collecte et mettant à mal le travail des agents de voirie.
Conteneurs à papier débordant d’emballages et abords des points de tri jonchés de boîtes en carton: ce spectacle est désormais fréquent dans les villes. En 2023, près de 545 mille tonnes de carton ont été introduites sur le marché en Suisse, selon le rapport annuel de l’Association de recyclage de papier et carton. Et ce chiffre est appelé à grimper d’ici à 2030, selon plusieurs estimations. En cause: une demande croissante pour le carton, portée notamment par le boom du commerce en ligne. Depuis 2021, le chiffre d’affaires des grandes enseignes suisses telles que Galaxus ou Zalando a augmenté de 20,8%.
Les habitudes de consommation des Suisses changent elles aussi. Nous sommes près de huit sur dix a avoir effectué des achats en ligne au moins une fois par mois, selon une étude réalisée par la Poste et la Haute école de gestion de Zurich en 2023. Une appétence pour le e-commerce responsable de l’augmentation des colis et des déchets de carton. Les communes suisses, en charge de la collecte, du tri et de l’élimination des déchets sur leur territoire, font face à de nouvelles problématiques de gestion des déchets.
Des gestes passibles d’amende
« Dans nos poubelles à papier, le carton est devenu majoritaire », rapporte Corinne Costa, porte-parole du Centre intercommunal de gestion des déchets de Lausanne. Dans la capitale vaudoise, en dix ans, au sein des collectes, les proportions de papier et de carton se sont inversées: le papier, qui représentait 60%, n’en représente plus que 40%, tandis que le carton est passé de 40% à 60%.
Ces tendances s’observent dans de nombreuses communes urbaines romandes, de grande ou moyenne taille, à forte densité d’habitants. À Chavannes-près-Renens, Philippe Coeytaux, chef de service en charge de la voirie, constate une très nette augmentation des cartons issus du e-commerce au sein des ramassages quotidiens. « Mais ce qui pose problème, ce sont avant tout les comportements de tri de certains habitants », déclare-t-il. Bien que les pictogrammes sur les conteneurs précisent clairement que les cartons doivent être pliés, cette consigne est rarement respectée, ce qui n’est pas sans conséquence. « Lorsqu’un carton est jeté sans être plié, il se coince à l’entrée du conteneur, créant des bouchons et empêchant l’insertion d’autres cartons », regrette le Chavannois. Résultat: la poubelle semble pleine et les personnes suivantes, désireuses de se débarrasser de leurs cartons, déposent leurs déchets sur la voie publique.
Ce geste paraît anodin, mais dans certaines communes, comme Lausanne et Chavannes-près-Renens, il est considéré comme du littering et est sanctionné. Si d’autres communes tolèrent temporairement le dépôt de cartons non loin des conteneurs, il reste recommandé de les ramener chez soi et d’attendre la prochaine collecte.
Quelles mesures mises en place par les communes ?
Face aux cartons qui s’accumulent au pied des poubelles, les agents de voirie lausannois n’ont d’autres choix que de les jeter dans les ordures ménagères. « Par manque de temps et de personnel, il nous est impossible de trier les cartons déposés près des zones de tri, d’autant plus qu’ils sont souvent mélangés à d’autres matériaux, comme du plastique », soutient Corinne Costa.
À Chavannes-près-Renens, on a trouvé une solution: un agent de voirie est chargé de leur ramassage. Werner Aeschlimann fait le tour de la commune et jette les cartons posés à même le sol. Certaines communes genevoises ont décidé d’adapter leurs espaces de tri grâce à un système pourvu de compacteurs à carton. Ce dispositif permet de tasser le déchet lorsqu’il est inséré dans le conteneur. Les compacteurs offrent un gain de place et limitent le passage des camions de collecte. Pas de solution miracle toutefois, plier le déchet de carton reste indispensable à un usage optimal des compacteurs. Autre mesure prise dans certaines communes: augmenter la capacité de stockage des conteneurs, tout en réduisant délibérément l’espace dédié à l’insertion des cartons. Cela incite chacun à plier ses déchets de carton.
Deux motions pour limiter la surconsommation
Ces différentes mesures visent à contrôler les comportements individuels de tri. Cependant, pour Delphine Klopfenstein Broggini, conseillère nationale (Les Vert-e-s/GE), il est crucial de s’attaquer à l’origine du problème: le commerce en ligne et ses incitations continues à la surconsommation, générant toujours plus de déchets. Les plateformes de e-commerce suisses annoncent régulièrement réduire leurs déchets de carton grâce à des livraisons moins gourmandes en emballages ou par l’utilisation de carton recyclé. Toutefois, aux yeux de la conseillère verte, ces initiatives s’apparentent davantage à du greenwashing qu’à une réelle volonté de réduction des déchets. Avec Sophie Michaud Gigon (Les Vert-e-s/VD), elles ont déposé deux motions afin de réguler le commerce en ligne. « Nous souhaitons que la Suisse instaure un cadre plus contraignant pour les plateformes d’e-commerce afin de protéger les consommateurs, l’économie locale et l’environnement », explique Delphine Klopfenstein Broggini.
