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“Les changements, ça ne se produit pas en deux ans”

En Suisse, l’espérance de vie des femmes est de 83 ans, elle est de 77 ans pour les hommes.

Au vu des changements technologiques et sociéteux, rares sont les secteurs économiques ayant été épargnés de profondes reconfigurations. Mais qu’en est-il de celui des pompes funèbres ? Quelles innovations? Quelles perspectives de changement? Interview avec la co-fondatrice de la jeune entreprise “Other Ways”.

Cet article appartient à la série Nouvelle économie de la mort consacrée aux innovations et évolutions dans le secteur du décès:
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Les pompes funèbres, personne ne souhaiterait en avoir besoin. Mais ce service est nécessaire, et Dylon Villano et Géraldine Juge l’ont bien compris. Ils ont fondé en 2022 “Other Ways”, une entreprise qui propose un service complet pour les funérailles, du transport du corps aux aspects administratifs. Envoyer ses cendres dans l’espace ou en faire un pendentif pour l’être cher, l’entreprise n’a pas peur d’innover au gré des changements culturels qui affectent aussi la sphère du deuil.

Les us et coutumes dans le domaine des pompes funèbres changent. Si durant longtemps, l’inhumation, dans la tradition catholique, était la norme, la tendance s’est inversée. À Genève le taux d’incinération est actuellement de 80%. Comment expliquer ce revirement, est-ce qu’il y a un lien avec les tarifs ? Et qu’est-ce que cela change pour vous ?

Je constate au quotidien que les gens se détachent du cimetière en tant que lieu de recueillement. Mais contrairement à une idée reçue, l’inhumation peut être moins chère que la crémation. Par exemple, ici à Genève, il faut s’acquitter d’une taxe de crémation et d’un certificat – 850 francs de frais au total. L’inhumation est quant à elle gratuite dans la commune où résidait le défunt. Ce qui peut faire grimper la facture, pour les inhumations, c’est le budget décoration. Les monuments funéraires sont produits par des marbriers pour des milliers de francs. Il y a aussi tous les frais d’entretien des fleurs, etc. Mais ce n’est pas obligatoire, si on ne veut pas, il n’y a pas besoin d’entretien, donc pas de frais non plus ! 

Néanmoins, je n’ai pas l’impression que le choix repose vraiment sur l’aspect financier. Les personnes décident d’honorer les vœux des défunts. Et en ce qui nous concerne, ce n’est pas plus compliqué de faire une crémation qu’une inhumation. Les charges sont les mêmes de notre côté. 

Outre ces deux options classiques pour ainsi dire, vous proposez également des prestations plus extravagantes. Est-ce que la demande est au rendez-vous ? 

Effectivement, de nouvelles solutions existent et on les met en avant, comme envoyer ses cendres dans l’espace, ou en faire un collier en diamant. Mais à l’heure actuelle, on reste encore sur des demandes très, très sobres: on nous adresse peu ce genre de souhaits un peu excentriques. Donc ce marché n’est pas encore très concret… Mais on voit quand même une tendance vers de nouvelles méthodes dans le reste du monde. 

L’humusation, cette nouvelle technique qui favorise la décomposition des dépouilles pour en faire de l’humus fertile en 12 mois, est illégale aujourd’hui en Suisse. Elle séduit néanmoins nos voisins. Est-ce qu’à l’avenir, l’humusation pourrait se développer en Suisse ?

C’est une question intéressante. L’humusation, c’est une technique qui a commencé aux États-Unis et qu’on retrouve désormais aussi en Belgique. En Suisse, malheureusement, elle n’est pas encore légale, mais pour moi, c’est l’avenir! On suit le dossier de près, c’est une solution qu’on souhaiterait proposer si elle devient légale. On se veut une entreprise écologique, ça serait complètement en adéquation avec nos valeurs. Déjà maintenant, on circule en véhicule électrique, on fait appel à des prestataires locaux et écoresponsables. Concernant les émissions CO2 de la crémation et l’impact de l’inhumation sur les sols, on reverse aussi une compensation carbone à une organisation. 

Ceci étant dit, d’un point de vue financier, l’humusation ne sera pas la méthode la plus rentable pour nous. Nous perdrons les revenus liés à la vente de cercueil. Ce sera sûrement synonyme de changements dans le modèle d’affaires de notre boîte. 

Comment voyez-vous l’avenir du secteur des pompes funèbres?

Il faut mettre les choses en perspective. Traditionnellement, les pompes funèbres ne se chargeaient que du transport des dépouilles. Dans les petits villages, la toilette des défunts était prise en charge par les familles jusqu’au jour de la cérémonie à l’église, où le curé prenait le relai pour la messe. Le rôle des pompes funèbres a vraiment évolué avec le temps. Maintenant, elles sont de plus en plus au centre du processus : elles coordonnent et organisent le tout. On fait vraiment le plus possible pour soulager au maximum la famille. 


“Finalement, le secteur du deuil suit aussi les évolutions dans les mœurs.”

Géraldine Juge, codirectrice de “Other Ways”

Ce sont des changements sur le long-terme, ça ne se produit pas en deux ans ! Et puis, aujourd’hui encore, les familles peuvent presque tout faire seules si elles le souhaitent. La seule obligation concerne le transport de la dépouille : il faut faire appel à des professionnels avec un véhicule adapté. Il arrive que la famille souhaite tout gérer, mais ça reste très rare. Les personnes tendent toujours plus à déléguer au maximum. Quoi qu’il en soit, notre métier consiste à s’adapter au mieux.

Par Flavia Gilloz, Pablo Laville et Margaux Lehmann

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Pratiques journalistiques thématiques” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

Crédit photo mise en avant: Unsplash