Où sont les femmes dans le staff des équipes de football ? – JAM

Où sont les femmes dans le staff des équipes de football ?

Sur le terrain, la présence de femmes dans les staffs techniques reste l’exception.

Le nombre de joueuses ne cesse d’augmenter, mais les équipes encadrantes restent largement masculines. Clubs, fédérations et cantons cherchent à inverser la tendance pour bénéficier des avantages des femmes dans leur staff.

Le football féminin progresse en Suisse, mais les staffs techniques peinent à se féminiser. À l’exception du niveau élite, où des figures comme Pia Sundhage, sélectionneuse de l’équipe nationale depuis janvier 2024, marquent une évolution, les entraîneuses restent rares, surtout dans les clubs amateurs. 

Pia Sundhage estime que les clubs et les fédérations ont une part de responsabilité dans ce manque de représentation. «Il y a tellement de choses qui peuvent être mises en place pour faciliter l’accès des femmes aux postes d’entraîneurs. On entend souvent que la mixité entre hommes et femmes est une bonne chose dans le football, y compris concernant le coaching. Mais il faut des actions en plus des mots.» 

«En Suisse, au maximum 10 % des entraîneurs actifs sont des femmes, regrette Reto Gertschen, responsable de la formation à l’Association Suisse de Football (ASF). «Ce nombre devrait augmenter à l’avenir. Nous proposons désormais des formations spécifiques aux femmes, notamment aux deux premiers niveaux de la filière.» Parmi elles: des cours Jeunesse et Sport (J+S), pensés pour encourager davantage de femmes à s’engager dans l’encadrement. Une réponse à la pénurie d’entraîneuses, mais aussi un levier pour diversifier les profils et les approches sur les bancs techniques.

Un encadrement qui fait la différence

La présence de femmes dans les staffs techniques ne relève pas seulement d’une volonté de parité. Elle peut aussi améliorer concrètement le bien-être des joueuses, en facilitant certains échanges, notamment autour du corps et de la santé. «C’est plus confortable d’avoir des entraîneuses, surtout quand on a nos règles », confie Soraya, joueuse M16 au centre de formation de l’Association suisse de football. Eline, également en M16, ajoute que dans son ancien club de quartier, où le staff était exclusivement masculin, ces sujets étaient plus difficiles à aborder. 

Pour Reto Gertschen, responsable de la formation des entraîneuses à l’ASF, la diversité des profils dans l’encadrement peut enrichir la dynamique d’équipe : «Elles apportent des méthodes, des expériences et des perspectives différentes qui enrichissent les entraînements et l’équipe. » Cet apport se traduit aussi sur le plan physique. Anna Blisse, préparatrice physique au centre sportif de l’ASF, insiste sur l’importance d’adapter les séances: «Le corps des femmes ne réagit pas de la même manière que celui des hommes. Il faut en tenir compte dans les programmes d’entraînement et de récupération.»

Lio Keizer, ancien gardien en ligue nationale B et aujourd’hui entraîneur des gardiennes à Étoile Carouge, partage ce constat. Transgenre, il estime que son parcours influence sa manière de coacher. «Quand mes joueuses ont leurs règles, je modifie mes entraînements: je réduis les répétitions et j’évite certains mouvements pour limiter les blessures. On ne peut pas s’imaginer ce que c’est d’être une femme sans l’avoir expérimenté. On n’entraîne pas de la même manière des femmes et des hommes. Les joueuses posent plus de questions, cherchent à comprendre le sens des consignes.» 

Il plaide enfin pour une meilleure représentativité sur les bancs: «Dans notre club, à part les physiothérapeutes, le staff est quasi exclusivement masculin. Ça ne reflète pas toujours ce que vivent les filles. Une entraîneuse apporte souvent une forme de proximité, une autre manière d’aborder les choses.»

Des bancs à rééquilibrer

L’absence de femmes dans les staffs techniques se fait aussi sentir au quotidien, sur le terrain. À Étoile Carouge, où il entraîne les gardiennes de l’équipe féminine de ligue nationale B, Lio Keizer observe un décalage entre l’encadrement et les besoins des joueuses. Selon lui, la présence de femmes permettrait de mieux prendre en compte certains aspects du sport féminin, qu’il s’agisse du rapport au corps ou des modes de communication: «Une entraîneuse partage souvent une expérience plus proche de celle des joueuses, que ce soit dans la manière de ressentir l’effort ou d’aborder certaines thématiques.» 

Du côté de l’ASF, on affirme que la dynamique est en train de changer, y compris dans la perspective d’une plus grande mixité… dans les deux sens. «On peut imaginer qu’à l’avenir, des entraîneuses encadrent aussi des équipes masculines. Il ne s’agit pas de barrières, mais de défis à relever, estime Reto Gertschen. Il faut que les clubs fassent confiance aux femmes pour franchir ce pas. Et que les femmes aient confiance en elles pour s’y autoriser.» 

Un constat que partage Pia Sundhage. Elle estime en outre que les femmes doivent s’autoriser à prendre davantage de place dans l’espace public et médiatique: «Les femmes dans le football ont le droit à la lumière, elles doivent aller parler aux médias, montrer que leur place est légitime et importante,» déclare-t-elle.

Former pour diversifier

L’ASF propose des formations de base réservées aux femmes dans toute la Suisse. Celles qui souhaitent aller plus loin peuvent suivre des modules certifiés par l’Union des associations européennes de football (UEFA), l’organisation qui régule le football en Europe. «Le parcours est le même pour toutes et tous, précise Reto Gertschen, responsable de la formation à l’ASF. Mais certains contenus sont adaptés au contexte du football féminin.» Pour soutenir cette montée en compétences, l’UEFA a lancé le Coach Development Programme for Women, un programme de mentorat qui accompagne actuellement onze entraîneuses dans leur développement professionnel, dont la Suissesse Veronica Maglia, sélectionneuse de l’équipe nationale féminine M19.

Alors que la Suisse s’apprête à accueillir l’Euro féminin en 2025, plusieurs cantons comptent profiter de cette dynamique pour renforcer la formation et améliorer la représentativité sur les bancs. Dans le canton de Vaud, une session Jeunesse et Sport destinée aux femmes entraîneuses a eu lieu en mars 2025. Une autre formation pour entraîner des équipes féminines est prévue. Ouverte aux jeunes hommes et femmes, elle débutera en juin 2025. D’autres mesures, comme des modules de formation pour les dirigeantes de clubs, viennent compléter le dispositif. L’objectif: encourager une plus grande diversité dans l’équipe encadrante. Le canton de Berne suit une logique similaire.

Une attente forte sur le terrain

Si les exemples restent rares, certaines trajectoires laissent entrevoir une évolution. Emma Hayes, qui a dirigé l’équipe féminine de Chelsea pendant plus d’une décennie, l’a menée à six titres de championne d’Angleterre et s’est imposée comme l’une des coachs les plus respectées au monde. En 2023, elle a été évoquée comme possible entraîneuse d’un club masculin, avant d’être nommée à la tête de la sélection féminine des États-Unis, quadruple championne du monde. Des parcours encore exceptionnels, mais qui esquissent les contours d’un football plus ouvert sur le terrain comme sur les bancs.

Par Bastien Nespolo, Bathsheba Huruy et Elio Sotas

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Pratiques journalistiques thématiques » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

Une version de cet article a été publiée dans 24 Heures, le 5 juillet 2025.

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