Cynisme, burnout, inégalités peuvent gangréner les salles de rédaction et le moral de leurs journalistes. Pour rendre le métier plus empathique et moderne, quatre rédactrices en cheffe ont repensé le leadership. Un focus top-down essentiel pour le bien-être des rédactions.
Le changement par le haut, pour créer un environnement plus sain dans les salles de rédaction. En conférence à Perugia, quatre rédactrices en cheffe et spécialistes du leadership ont partagé leurs solutions pour rendre les salles de rédaction moins toxiques.
Une culture d’entreprise « toxique », qu’est-ce?
Mais qu’est-ce que c’est, une « salle de rédaction toxique »? Comment repérer si la vôtre pourrait s’améliorer? Comment faire la différence entre des comportements irritants ou toxiques? Difficile de ne retenir qu’une seule définition. Mais une étude sur la culture d’entreprise toxique, par la MIT Sloan Management Review, a défini les 5 caractéristiques ayant le plus d’impact négatif sur les employés.
Vous êtes concernés par au moins l’un d’entre eux? A Perugia, la conférencière a posé cette question aux journalistes dans la salle: presque tout le monde a levé la main.
Astrid Maier, éditrice en cheffe de XING, complète: une culture de salle de rédaction toxique est « une culture dans laquelle il n’y a pas de sécurité psychologique pour les employés, où les gens se font harceler, ne se sentent pas intégrés, où il y a un manque de modèle de leadership, où les gens démissionnent massivement ».
Comment transformer le leadership pour une rédaction saine?
En changeant la mentalité des leaders et la salle de rédaction. Sur le premier point, pour les conférencières, il y a une tendance générale, aux Etats-Unis et dans certaines régions d’Europe, à ne plus accepter les postes à responsabilité demandant de travailler 60 heures par semaine, sans compter, et en sacrifiant sa vie privée et familiale. Cette tendance se serait renforcée depuis la pandémie. Les leaders ne veulent plus tout sacrifier.
Plusieurs manières d’envisager le changement en rédaction ont été abordées:
- Adapter les postes de leader avec de nouveaux critères (comme éviter la surcharge ou les horaires sans fin)
- Avoir un responsable des ressources humaines dans la salle de rédaction, ou une personne formée à ces problématique
- Se débarrasser des « brillants jerks » (litt. « brillants connards », des personnes talentueuses mais toxiques pour leurs collègues) et engager en priorité des personnes bonnes pour l’équipe et le média
- Adapter le monitoring du média pour y inclure un suivi des progrès en termes de non toxicité
- En parler dans la rédaction; les leaders devraient être des exemples et parler de leurs problèmes, pour inciter les employés à parler des leurs. Les employés devraient pouvoir parler librement et s’opposer aux comportements toxiques
Sur ce dernier point, Antonia Goetsch évoque en interview l’importance de créer des espaces sécurisés pour discuter:
Comment avancer vers cette rédaction de demain tant que les leaders ne le font pas?
Si la rédaction ne met pas en place des changements au niveau du leadership, des solutions existent tout de même:
- Créer des réseaux d’alliés externes à l’entreprise, avec des organisations qui relient entre elles les personnes concernées, leur permette d’échanger, de se conseiller et d’agir à plus large échelle.
- Trouver des alliés au sein de l’entreprise elle-même, pour faire front ensemble contre les situations et comportements toxiques ; une méthode d’autant plus importantes pour les personnes en minorité (souvent les femmes ou les personnes racisées)
- Confronter directement les personnes à leur comportement toxique
L’industrie des médias est-elle particulièrement plus toxique que les autres?
Pour les conférencières, l’industrie des médias se démarque des autres sur plusieurs plans. Elle investit moins de moyens pour former les leaders. Et, souvent, les journalistes promus à des positions de pouvoir le sont pour leurs compétences journalistiques et non pour leurs capacités de leadership. Un bon journaliste peut se révéler très mauvais leader.
Autre explication : l’esprit de mission des journalistes et le fait que le métier attire des personnes égocentrées pourrait expliquer que les salles de rédaction puissent être plus toxiques que d’autres environnement de travail. Interview d’Antonia Goetsch.
Par Mathias Délétroz
Crédit photo en avant : Keystone/Laurent Gillieron
Crédit photo YouTube : Emmanuel Bessadet
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Production de formats journalistiques innovants”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.