Droits autochtones et multinationales: l’irresponsabilité suisse

Par-delà la frontière helvétique, les activités de multinationales suisses portent atteintes aux droits humains et à l’environnement. Pour son 30ème anniversaire, la Société pour les peuples menacés lance le débat sur la responsabilité suisse en matière de droits autochtones en Amazonie comme au Finnmark norvégien.

Les points clés:

  • 4 des plus grandes raffineries d’or mondiales siègent en Suisse où est raffiné 70% de l’or négocié dans le monde
  • Environ 2’500 tonnes d’or sale sont importées chaque année en Suisse contre 2 tonnes d’or responsable
  • L’extraction illégale de ce métal précieux engendre des conflits avec les communautés autochtones amazoniennes liés entre autres à la déforestation et à la pollution au mercure
  • En Norvège, la construction de deux mines de cuivre dans le Repparfjord menace les Samis du Finnmark
  • Près de 2 millions de tonnes de résidus chimiques et de métaux lourds seront rejetés chaque année dans le fjord
  • Credit Suisse est l’un des principaux investisseurs de Nussir ASA qui finance le projet

A l’occasion de son 30ème anniversaire, la Société pour les peuples menacés (SPM) a invité les spectateurs du Cinélux genevois à se plonger au cœur de la forêt amazonienne jeudi 17 octobre. Son objectif: sensibiliser, à travers le documentaire Dirty Paradise de Daniel Schweizer, au sort des Wayana – un peuple autochtone menacé par les activités d’orpailleurs illégaux. La responsabilité de la Suisse, en Amazonie comme en Europe, a enflammé la discussion.

La Suisse, plaque tournante de l’or sale

A 7’400 kilomètres du fleuve Maroni où vivent les Wayana, la Suisse ne semble de prime abord pas concernée par cette crise humanitaire. Hélas, c’est faux. Christoph Wiedmer, co-directeur de la SPM depuis treize ans et spécialiste de la campagne No Dirty Gold, explique la place centrale qu’occupe la Suisse dans le commerce mondial de l’or:

« Quatre des plus grandes raffineries d’or au monde siègent sur le territoire helvétique et transforment 70% de l’or négocié mondialement. »

Plaque tournante du métal convoité, la nation de la neutralité n’est pas pour autant incorruptible. Comme le souligne Wiedmer, « près de 2’500 tonnes d’or sale sont importées en Suisse chaque année contre seulement deux tonnes d’or responsable. »

Il prend pour exemple l’entreprise Swatch Group qui consomme entre 12 et 15 tonnes d’or par an. « Même si Swatch achète tout l’or ‘propre’ en Suisse, cela ne suffira pas à sa production. »

Pour éviter de tels scénarios, la Société pour les peuples menacés exhorte les multinationales suisses à la transparence et au contrôle de diligence. Wiedmer est confiant: « Si l’origine de l’or est publiée, il n’y aura plus d’or sale en Suisse ».

En Amazonie, la situation s’est aggravée selon Wiedmer. Petit détour en images:

Metalor, poussée à réagir

Les efforts de la SPM ont néanmoins porté certains fruits. A la suite de dénonciations et de confiscations d’or illégal, la raffinerie Metalor, basée à Neuchâtel, a annoncé en juin dernier suspendre ses activités avec les exploitations d’or artisanales au Pérou.

Une solution intermédiaire selon le co-directeur de la SPM qui souhaite que la raffinerie s’engage en faveur de conditions de production responsables. « De nombreuses personnes dépendent de ces exploitations artisanales pour survenir à leurs besoins », rappelle Wiedmer.

Credit Suisse souille les Samis

En Europe aussi, des peuples autochtones tentent de faire valoir leur voix. C’est le cas des Samis du Finnmark norvégien, dont le gagne-pain est menacé par la construction de deux mines de cuivre dans le Repparfjord.

Près de deux millions de tonnes de résidus de produits chimiques et de métaux lourds seront déversés chaque année dans le Repparfjord, affectant l’écosystème de la mer de Barents et la dignité des Samis.

Source images: Rapport de la SPM « Toxic Waste in Repparfjord? »

Silje Karine Muotka, membre du conseil des gouverneurs du Parlement sami de Norvège a exprimé son désaccord auprès de l’ONG Earthworks:

« Nous nous opposons à la mine de Nussir car elle menace notre mode de vie. L’élevage des rennes et la pêche en mer constituent la base culturelle de notre communauté et doivent pouvoir continuer. C’est essentiel pour les générations futures. »

Credit Suisse est un des premiers investisseurs du groupe minier Nussir ASA qui finance ce projet. Le 16 octobre, une procédure de médiation avec la SPM a abouti à la décision de la banque suisse d’inscrire les droits autochtones dans ses directives internes pour le financement de projets.

Un premier pas, selon Wiedmer qui nuance la nature non-contraignante de cet engagement qui ne concerne pas les secteurs de la vente, de la négoce et du financement d’entreprises.

Questionné sur l’impact qu’aura cette résolution sur le projet minier au Repparfjord, Credit Suisse a répondu:

« La banque agit uniquement à titre d’établissement dépositaire, elle n’a aucune influence sur les décisions d’investissement de ses clients. »

Le paradis suisse est souillé. Afin d’éviter que des sociétés continuent à justifier l’atteinte aux droits humains et environnementaux par du jargon administratif, Wiedmer invite à soutenir l’Initiative pour des multinationales responsables.

Le conseiller national Carlo Sommaruga, présent lors de l’événement, a fait part du retard suisse en terme de « logique régulatrice »:

 

Crédits photo: Christoph Wiedmer, SPM

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Compétences numériques pour le journalisme », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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