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Le Rwanda, devenu sûr 30 ans après ?

À Kigali, la situation aujourd'hui n'est pas aussi rose que ce qu'on pourrait le croire. Crédits : AP Photo/Felipe Dana.

Mardi 12 décembre, le Parlement britannique a voté en faveur du projet de loi sur l’expulsion vers le Rwanda des migrants arrivés illégalement. Mais à quelques mois du trentième anniversaire du génocide rwandais, ce pays d’Afrique de l’Est est-il remis?

Presque trente ans après son génocide, le Rwanda est de retour à la Une de tous les journaux. Le Royaume-Uni, par l’intermédiaire de son premier ministre Rishi Sunak, veut y envoyer les migrants arrivés illégalement sur son territoire. Si le “plan rwandais” est encore loin de se matérialiser, il mérite de se pencher à nouveau sur ce pays toujours traumatisé par le génocide des Tutsis, en 1994.

Le Royaume-Uni considère le Rwanda comme un “pays tiers sûr”. Cela permettrait au gouvernement britannique d’y envoyer tous les migrants entrés illégalement sur son sol, peu importe leur origine. Mais le Rwanda est-il vraiment un pays sûr?

Entre assassinats d’opposants et conflit avec la RDC

Ce pays d’Afrique de l’Est est gouverné depuis plus de vingt-trois ans par Paul Kagame. Élu successivement en 2000, 2003, 2010 et 2017, il compte se présenter à nouveau en 2024, pour un cinquième mandat. Ces élections, toutes aisément remportées, ainsi que l’assassinat de plusieurs de ses opposants au fil des années, font de Kagame un dirigeant autoritaire. De nombreux observateurs le considèrent d’ailleurs comme un dictateur et ce, sans lui enlever le mérite d’avoir stabilisé le pays après le génocide de 1994, d’avoir fait croître le Rwanda économiquement et d’y avoir réduit la corruption. 

Sous Kagame, le produit intérieur brut par habitant (PIB/hab) est monté en flèche. Par rapport à 1994 (100%), il a gagné près de 800%. Idem pour l’espérance de vie, qui était de seulement de seulement 14,1 ans en 1994 (100%). Au XXIe siècle, elle est passée de 47 ans en 2000 à 66 ans en 2021. Deux témoins d’un niveau de vie et d’une conjoncture économique en augmentation.

Malgré ces notes positives, le Rwanda est considéré comme un “régime autoritaire” et ne se classe que 126e (sur 167) en termes d’indice de démocratie, d'après The Economist Group. Une place dans le classement qui détone avec le développement positif du Rwanda au XXIe siècle. D’autant que plusieurs ONG occidentales dénoncent régulièrement un non-respect des droits humains sous le régime de Kagame, notamment en période d’élections. Les tensions aux abords de sa frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), qui dure depuis près de 20 ans, posent d’autres questions sécuritaires.

Dans de telles conditions, le Royaume-Uni a-t-il raison de considérer le Rwanda comme un pays “sûr” et d’y envoyer les migrants arrivés illégalement sur son territoire? Pas sûr, justement. Car, 30 ans après, le pays d’Afrique de l’Est n’est pas encore tout à fait remis des maux causés par le génocide de 1994.

Un génocide qui dure

À quelques mois des 30 ans de la fin du génocide, des fugitifs sont toujours recherchés pour leur rôle présumé. Aussi, des procès sont encore en cours pour établir la culpabilité des uns et des autres. La semaine dernière, trente ans de prison ont été requis contre Sosthène Munyemana, un ancien médecin rwandais, pour sa supposée implication dans le massacre des Tutsis. Mais que s’est-il passé entre avril et juillet 1994 au Rwanda?

800’000 personnes tuées en 101 jours, entre le 7 avril et le 17 juillet 1994. Voici le bilan du génocide des Tutsis par les Hutus. Le conflit entre ces deux ethnies remonte à l’époque coloniale. Les Belges ont alors artificiellement hiérarchisé ces deux groupes, créant inégalités et tensions entre les populations. Au paroxysme des dissensions politiques entre les deux ethnies, l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, un Hutu, a déclenché le génocide.

L’attentat à la bombe et la mort du président ont servi de prétexte à certains extrémistes hutus pour lancer une campagne systématique de violence contre les Tutsis, et même contre les Hutus plus modérés. Le pays a alors plongé dans le chaos: torture, massacres de masse, viols, actes de violence généralisés. Les médias ont également joué un rôle dans le génocide en incitant à la violence, déshumanisant les Tutsis et encourageant les Hutus à participer au carnage.

L’actuel président du pays, Paul Kagame, était alors le dirigeant du Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle composé de Tutsis. En prenant le contrôle de la capitale Kigali en juillet 1994, le groupe rebelle a mis fin au génocide, instaurant un nouveau gouvernement dans le pays, duquel Kagame deviendra président en 2000. 

Bras droit du nouveau président Pasteur Bizimungu en 1994, Kagame et le FPR sont accusés de représailles envers les populations Hutus, qui doivent s’exiler. D’autres, directement impliqués dans le génocide, ont fui le pays par crainte de poursuites légales. Comme le montre la carte ci-dessous, une grande partie des populations ayant fui le pays se sont réfugiées dans les pays limitrophes, notamment en République démocratique du Congo.

De leur côté, les Tutsis ont également largement quitté le pays, tant avant que pendant le génocide. Dès celui-ci terminé, certains sont rentrés au pays, alors que d’autres sont restés exilés. Le graphique ci-dessous le montre : des plus de deux millions de personnes ayant quitté le pays à cause du génocide, 200'000 ne sont pas revenues, ceci pour des raisons d'instabilité tant politique que socio-économique. Une situation dont le Rwanda ne s'est toujours pas vraiment sorti. Au XXIe siècle, les Rwandais quittent toujours le pays par milliers chaque année.

Si le Parlement britannique parvient à matérialiser son projet, le Rwanda parviendrait à inverser la tendance en matière de migration. Se pose encore la question de la sûreté du pays, et des motivations rwandaises pour pareil accord.

Par Téo Nania et Thomas Freiburghaus
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Publication, édition et valorisation numérique”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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