Se faire traiter de raciste par l’ONU, c’est grave docteur ?

Début octobre, un groupe d’experts indépendants des Nations Unies publiait un rapport sur la situation des droits de l’homme des personnes d’ascendance africaine en Suisse. Conclusion: le pays ne fait pas assez pour éviter les discriminations. Des problèmes structurels sont notamment mis en avant. La Suisse est-elle vraiment atteinte de racisme? Est-ce grave, et est-ce que ça se soigne?

Le 30 août 2021, un homme noir est abattu par un policier à la gare de Morges. L’événement ravive le volet suisse du mouvement Black Lives Matter. La Suisse a son George Floyd.

À la suite du drame vaudois, une commission indépendante de l’ONU est invitée par le Conseil fédéral dans le but de fournir un rapport sur les possibles discriminations raciales sur les personnes d’ascendance africaine en Suisse. Pour ce faire, la commission indépendante se rend à Berne, Genève, Lausanne et Zurich, afin de rencontrer des hauts fonctionnaires aux niveaux fédéral et cantonal, ainsi que des personnes d’origine africaine. 

Le rapport de l’ONU conclut notamment qu’une définition du racisme manque dans le cadre juridique suisse. Pour la commission, malgré le fait que l’interdiction de discrimination raciale soit inscrite dans la Constitution fédérale (art. 8 Cst), la Suisse fait défaut à son devoir de protection envers les personnes d’ascendance africaine.

Le fédéralisme mis en cause

L’absence de loi fédérale définissant la discrimination raciale indirecte est, pour la commission, intimement liée à la structure politique du pays, le fédéralisme. La commission fédérale contre le racisme (CFR) regrette elle aussi que la Suisse ne dispose pas d’une législation exhaustive sur la discrimination raciale. Seule la norme pénale antiraciste (art. 261bis CPS) l’interdit explicitement. Pour la CFR aussi, « une loi concrétisant l’interdiction générale de discriminer, à l’image des lois sur l’égalité entre femmes et hommes ou sur l’égalité pour les handicapés, fait défaut » au pays.

Ce qui rend la question d’autant plus complexe, c’est que le l’accusation principale porte sur la composante structurelle du racisme. Le racisme structurel peut se définir par l’inégalité de répartition du pouvoir et d’accès aux droits et aux ressources entre groupes raciaux, selon la revue Tangram spécialisée dans l’étude du racisme en Suisse publiée par le CFR. Un phénomène bien souvent latent, ce qui le rend difficile à réduire via la loi. Fin octobre, l’association humanrights.ch écrit un article plaidant pour l’amélioration de la visibilité de ce pan du racisme.

Autre exemple de reproche de discrimination structurelle, un rapport d’Amnesty International dévoile en 2021 que malgré une adhésion à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, les centres fédéraux pour requérants d’asile violent certains droits humains pourtant inscrits dans le droit suisse.

Les accusations onusiennes ne font pas l’unanimité

La Suisse a immédiatement réagi aux accusations du rapport des Nations Unies. L’Ambassadeur suisse à l’ONU Jürg Lauber a affirmé devant le Conseil des droits de l’homme que les résultats n’étaient « pas représentatifs de la situation », puisque basés sur seulement quelques cas isolés. Il a néanmoins concédé que le racisme et la discrimination raciale étaient des problèmes urgents: une étude du service de lutte contre le racisme sera menée dans un futur proche. L’Ambassadeur suisse a aussi reconnu que le système fédéral pouvait impliquer des défis. 

Par ailleurs, la Suisse est généralement perçue comme un pays respectueux des droits de l’homme. Elle se trouve notamment au huitième rang des pays avec la meilleure équité raciale au monde dans le classement de U.S. News. De plus, selon l’OFS, près de 80% de la population se dit prête à lutter contre le racisme avec des actions concrètes. 

Le rapport doit être mis en perspective

La Suisse n’est pas la seule concernée par une dénonciation de l’ONU concernant les discriminations raciales. Chaque année, plusieurs pays se voient réprimandés. Au début du mois de novembre, par exemple, la Suède a été vivement encouragée par l’ONU à « lutter contre le racisme systémique, et créer la confiance entre police et minorités ». En août était également publié un rapport sur plusieurs pays, dont le Nicaragua, pour les violences envers des personnes indigènes et de descendance africaine. Aux États-Unis étaient dénoncées des brutalités policières envers les minorités ethniques ou raciales. Cela n’allège en rien les charges à l’encontre de la Suisse, mais permet de les recontextualiser.

Alors la Suisse, une si mauvaise élève?

En définitive, difficile de dire si les discriminations raciales sont particulièrement importantes en Suisse. D’une part, les accusations de l’ONU comme d’Amnesty sont fondées et doivent être adressées par les autorités. De l’autre, la thématique du racisme est un sujet intrinsèquement émotionnel: le traitement médiatique a légèrement grossi les conclusions du rapport onusien, qui salue aussi certaines mesures de la Suisse. Surtout, la composante structurelle du racisme dont il est ici question le rend par définition difficile à appréhender, et donc à dénoncer. A défaut d’en finir avec les discriminations raciales latentes, le rapport de l’ONU et son traitement médiatique ont le mérite de les mettre en lumière.

Par Margot Bétrisey, Flavia Gillioz, Tristan Giordano, Marine Lanzi
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Actualité: méthode, culture et institutions » dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

Crédit image mise en avant : DisobeyArt

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