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Comment la Suisse gère-t-elle la migration de transit?

Image de Une (c) Gian Ehrenzeller-Keystone

En Europe, les flux migratoires repartent à la hausse depuis l’accalmie des mesures Covid-19. Si la Suisse ne compte pas parmi les principaux pays de refuge, un grand nombre de migrants transitent à travers le territoire helvétique. Explications avec Amir, un personnage fictif en situation de migration irrégulière.

Il est 6h56 quand le train d’Amir entre en gare de Buchs, dans le canton de Saint-Gall. Sur le quai, une dizaine de gardes-frontières s’apprêtent à monter dans les wagons pour contrôler les papiers des voyageurs. Comme lui, plusieurs centaines de migrants – souvent en provenance d’Irak, de Syrie ou d’Afghanistan – atteignent, chaque semaine, la frontière orientale de la Suisse et traversent le pays en train

Amir fuit l’Afghanistan. Il espère rejoindre l’Allemagne pour y déposer une demande d’asile. Avant d’atteindre Buchs, la route des Balkans l’a mené aux portes de l’Europe en Croatie, pays membre de l’espace Schengen.

Toutes personnes franchissant les frontières extérieures à l’espace Schengen sont contrôlées de manière uniforme par les gardes-frontière et les garde-côtes. Malgré les dispositifs en place, Amir est parvenu à éviter tous les contrôles. Cela n’a pas été le cas de ses compagnons de route.

Comme la Croatie applique le règlement Dublin III, ils ont eu l’obligation de fournir leurs empreintes digitales. La Croatie devient leur premier pays officiel d’entrée en Europe.

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Carte de l’espace Dublin. Source: DFAE

Démystifier le règlement Dublin

Dorénavant, le parcours d’Amir et de ses compagnons est lié au règlement en vigueur pour la gestion des flux migratoires dans l’espace Schengen. Il s’agit de Dublin III, un accord qui vise à répartir les demandes d’asile entre les 28 États de l’Union européenne (UE) ainsi que la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse.

En parallèle à la libre circulation des personnes dans l’espace Schengen, des règles concernant la circulation des personnes migrantes ainsi que les devoirs des pays en matière de prise en charge des demandes d’asile ont aussi été établies.

Le règlement Dublin III est entré en vigueur le 19 juillet 2013. Le projet a pour objectif de donner un accès rapide à une procédure d’asile et d’éviter les demandes simultanées dans plusieurs États européens.

Le site Migration en questions explique pourquoi le règlement est critiqué pour son inefficacité. Le problème principal est que les États ne s’accordent pas sur un véritable outil de répartition des demandes. Les chances des migrants d’obtenir l’asile diffèrent d’un pays à l’autre avec, pour conséquence en cas de refus, des renvois dans le pays d’origine, l’impossibilité de demander la protection d’un autre pays Dublin ou la clandestinité.

Parmi les différentes voies migratoires pour atteindre l’Europe, c’est la route des Balkans qui est la plus utilisée. 130’000 entrées irrégulières ont été comptabilisées depuis janvier. Source: Mise au point, RTS 

La Suisse: pays de transit plutôt que terre d’accueil

Amir est ce qu’on appelle un migrant de transit, car il se trouve temporairement dans un pays, dont il ne détient pas la nationalité, avant d’atteindre une autre destination qui sera sa destination finale.

Sur le quai de Buchs, il échappe à nouveau aux contrôles comme une partie de ses compagnons. Pour ceux qui sont arrêtés, la Suisse ne dispose d’aucune base légale pour interrompre leur voyage… alors qu’il est nécessaire que la personne soit encore physiquement sur le territoire vingt-quatre heures après son arrestation pour entamer une procédure Dublin.

La Suisse ne peut donc ni obliger les migrants à rester, ni les renvoyer en Autriche. D’ailleurs, à Buchs, le centre de traitement a fermé deux mois après son ouverture, car personne ne restait.

C’est pour ces raisons qu’Amir, comme plus de 20’000 clandestins depuis le début de l’année, peut espérer transiter par la Suisse sans être refoulé. 

Cependant, les critiques des pays voisins sont nombreuses. La France et l’Allemagne dénoncent le laxisme des autorités suisses. Une enquête de la SRF remet aussi en cause les CFF. Ces derniers répondent qu’ils ne font que remplir leur obligation de transport et ne sont pas compétents à arrêter ou dénoncer des personnes en situation irrégulière.

A la frontière suisse avec l’Autriche, des migrants arrivent tous les jours à Buchs dans ​​le canton de Saint-Gall. Ils sont autorisés à poursuivre leur voyage après avoir été contrôlés. © Gian Ehrenzeller/KEYSTONE

Quelles options pour Amir?

Amir souhaite atteindre l’Allemagne, où il espère recevoir l’asile.

Diverses motivations peuvent être à l’origine de son désir de gagner ce pays: rejoindre sa famille qui y réside depuis quelques années, le manque d’opportunités professionnelles dans le premier pays d’accueil ou l’intérêt de migrer vers l’espace politiquement et économiquement avantageux de l’Union européenne.

Plusieurs dénouements de l’histoire d’Amir et ses compagnons sont possibles.

Tout d’abord, ils peuvent poursuivre leur chemin jusqu’en Allemagne sans que les autorités suisses ne l’en empêchent. Amir pourra alors y faire sa première demande d’asile. 

Dans un deuxième cas de figure, Amir et ses compagnons sont contrôlés.

Amir est contraint de déposer sa première demande d’asile en Suisse. S’il reste sur le territoire suisse, le règlement Dublin est appliqué. Il sera soit dirigé vers un pays où des membres de sa famille ont déjà été acceptés ou renvoyé vers son pays d’origine.

Les compagnons de voyage d’Amir, qui avaient dû laisser leurs empreintes digitales en Croatie, risquent quant à eux d’être renvoyés vers ce pays. En effet, la Suisse renvoie en vertu du règlement Dublin un grand nombre de migrants vers leur premier pays officiel d’entrée en Europe.

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Dans de rares cas, Amir pourrait obtenir un droit de refuge en Suisse. Le taux d’octroi d’asile était de 37% en 2021 et de 33% en 2020.

Par Julie Collet, Gaëlle Dubath, Amélie Fasel, Jean Friedrich

Crédit photo mise en avant: Gian Ehrenzeller/KEYSTONE

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Actualité: méthode, culture et institutions” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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