On les écoute quand on veut et où l’on veut. Les podcasts connaissent un gain de popularité depuis deux ans dans les pays arabophones. Tantôt reliquat de la culture de l’oralité, tantôt nouveauté permettant d’explorer des tabous. Rencontre avec Ramsey Tesdell, cofondateur de la plateforme de podcast arabophone Sowt.
« Nous n’en sommes qu’au commencement. » Ramsey Tesdell semble confiant lorsqu’il évoque le futur des podcasts dans les pays arabophones. Le Jordanien en connaît un rayon sur la question. En 2016 il cofonde la plateforme de podcasts arabophones Sowt. Il souhaitait alors palier le manque de contenus audios disponibles en arabe. Depuis, le nombre de podcasts produits et leur écoute n’ont cessé de croître.
Le poids des traditions
Le récent succès des podcasts s’explique notamment par l’importance de la tradition du récit oral. Dans les pays arabophones, les connaissances, les histoires et les récits religieux se sont longtemps racontés de bouche-à-oreille, notamment en raison de l’alphabétisme encore répandu. Si l’importance de l’oralité n’est pas limitée à la culture arabophone, celle-ci en garde toutefois de nombreuses traces. Le succès des podcasts en est un bon exemple selon Rasmey Tesdell qui se réjouit de rendre hommage à l’arabe, une langue « profonde », « colorée » et « riche ».
Mettre en avant la langue arabe
Les podcasts produits par Sowt sont en arabe. Une façon de digitaliser une langue vieille de presque vingt siècles et une démarche importante pour le co-fondateur du projet: « Notre but est de parler aux personnes vivant dans le monde arabe, ça n’avait pas de sens de le faire en anglais même si ce choix représente parfois un challenge ». Car les podcasts en anglais sont nombreux et représentent une concurrence notable. Mais si Sowt souhaite cibler un public résidant dans les pays arabophones, le profil des auditeurs reste flou. Ils seraient âgés de 20 à 40 ans, compteraient autant de femmes que d’hommes et résideraient principalement en Arabie saoudite, en Égypte et aux Émirats arabes unis.
Évoquer les tabous
L’utilisation de la langue arabe a attiré l’attention de Rabab. Membre du collectif genevois Les Foulards Violets qui prône la solidarité avec les personnes qui ont décidé de porter le voile, cette étudiante en langue et civilisations arabes est une passionnée de podcasts. Depuis Genève, son lieu d’étude, elle écoute principalement des contenus en français abordant des thématiques liées aux conditions de la femme*. En arabe, elle a déjà écouté les podcasts-interviews de Dancing Queer, activiste d’origine égyptienne vivant aux Royaume-Unis. Iel invite des féministes pour évoquer leurs combats.
Les questions de genre et de sexualité sont aussi au centre du podcast Eib (un mélange de honte et de timidité en arabe), produit par Sowt. Après avoir écouté plusieurs épisodes, Rabab conclut: « Il m’a fait penser aux podcasts français Kiffe ta race, Jins, Le Cœur sur la table ou encore le suisse l’InConfortable. »
Parmi les 32 podcasts proposés par la plateforme Sowt, Eib est le plus écouté. Prenant la forme de story telling narratif incarné, il souhaite « challenger les constructions sociales ». Homosexualité, divorces et domination masculine, les tabous de ce que certains nomment « le monde arabe » y sont évoqués. Ramsey Tesdell souhaitait ainsi « créer des espaces pour raconter des histoires de personnes minoritaires dont les médias ne parlent pas ou peu ». Là où les médias peinent, le podcast, de part son format, passe entre les mailles du filet et évoque des thématiques de demain.
La radio pour préserver l’anonymat
« Tous les médias peuvent traiter de sujets sensibles », selon Rasmey Tesdell. Mais l’audio permet aux personnes qui le désirent de « garder l’anonymat » en utilisant des noms d’emprunt. Leur voix, elle, résonne. Une voix qui raconte une histoire, leur histoire. Et une impression pour l’auditeur, celle d’être » dans la même salle que la personne qui racontait l’histoire », selon Rabab.
Lorsque Ramsey Tesdell évoque le podcast Eib il explique: « Je pense que les raisons du succès de ce podcast sont un bon mélange entre un sujet difficile à évoquer et un format adapté. »
L’offre a-t-elle provoqué la demande, ou inversement? Selon Rasmey Tesdell: « Elles sont arrivées au même moment. Il y a une augmentation de l’intérêt des auditeurs mais aussi un élargissement des contenus proposés ». En accompagnant la population dans ses préoccupations, les créateurs et producteurs de podcasts participent donc à repenser les communautés arabes de demain.
Par Mathilde Salamin
Crédit image mise en avant: Mathilde Salamin
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Production de formats journalistiques innovants”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.