Depuis le début du 21ème siècle, la presse connaît un bouleversement sans précédent avec la montée en puissance du numérique et l’apparition des réseaux sociaux. Pour les journaux, la version « Print » ne suffit plus, et il faut désormais se montrer le plus innovant possible sur internet. Exemple avec le quotidien belge « L’Echo ».
« En 2010, j’ai commencé en tant qu’éditeur web et 3 ans après je suis devenu responsable du développement et de la transformation numérique. Je suis parti d’une page blanche et en l’absence totale de repère ». En 2021, les mots de Nicolas Becquet semblent loin, tant le journal s’est développé et propose aujourd’hui un large panel de formats numériques pour ses articles sur le Web: podcasts, vidéos, réalité augmentée, graphiques, cartes interactives… Les possibilités offertes par le multimédia sont de plus en plus exploitées par le quotidien belge. Mais avant tout, L’Echo reste un journal.
Les 7 choses à savoir sur L’Echo
En 1996, un peu plus de 100 ans après sa fondation, L’Echo lance son site internet. Le contenu était alors de simples reprises des articles de la version papier. Au fil du temps, la stratégie doit changer. L’apparition des smartphones, puis des réseaux sociaux bouleverse la façon de consommer l’information. Désormais, pour attirer de nouveaux lecteurs, les médias doivent investir ces plateformes numériques.
Nicolas Becquet, l’homme à tout faire
Pour remplir cette mission, L’Echo engage en 2010 Nicolas Becquet en tant que responsable du développement et de la transformation numérique. Paradoxalement, ce n’est pas dans ce domaine-là que sa carrière de journaliste a commencé.
Après avoir obtenu une maîtrise universitaire en littérature générale et comparée à Paris, le Français continue ses études à l’école de journalisme de la Sorbonne dont il obtient le diplôme en 2006, avec une spécialisation en radio. C’est d’ailleurs dans l’audio qu’il commence à travailler dans les médias, précisément à la radio belge Bel RTL jusqu’en 2009.
« Avec la radio, il était difficile de creuser un sujet et de développer des expertises. »
Nicolas Becquet, journaliste à L’Echo
Par la suite, Nicolas Becquet fait le choix de réaliser une formation pendant 9 mois pour devenir développeur web. Le modèle de la radio ne lui convenait plus. « Il était difficile de creuser un sujet et de développer des expertises. », explique-t-il. Autre problème de taille, son statut de travailleur semi-salarié ne lui permettait pas de vivre convenablement. « J’ai donc décidé de prendre un risque en travaillant dans un média spécialisé, comme éditeur web ». Aujourd’hui, le pari s’avère payant puisque cela fait désormais 11 ans que le journaliste travaille à L’Echo. Et depuis son arrivée, bien des choses ont changé dans le fonctionnement du quotidien belge…
L’évolution numérique de L’Echo
Pour mettre sur pied son ambition et créer la rédaction numérique idéale, Nicolas Becquet a dû s’atteler à 2 chantiers colossaux. Le 1er concerne les formats des articles. « Dans le journalisme classique, on a des formats connus et rigides où l’on apprend à innover tout en restant dans les timings imposés. », constate le responsable du développement et de la transformation numérique de l’Echo. Ce dernier a alors tenté de bousculer cette rigidité qui accompagnait l’innovation au sein des médias. Sa formule: varier et enrichir au maximum les contenus tout en gardant une certaine flexibilité. « Grâce au numérique, nous avons la possibilité de penser et d’illustrer de différentes manières nos contenus. Néanmoins, l’adaptation reste primordiale pour gérer les changements des plateformes. Par exemple, il a fallu réagir quand Facebook a mis en place des vidéos qui se lancent toutes seules sans le son. », détaille Nicolas Becquet.
« En observant les usages, on peut améliorer de manière significative le service rendu à l’audience. Des usages en mutation permanente. »
Nicolas Becquet, journaliste à L’Echo
Le 2ème chantier auquel le journaliste a été confronté touchait les changements de l’usage des publics. Cela se traduit par une étude minutieuse des formats qui vont être plébiscités par les lecteurs. Un travail qui a toute son utilité pour Nicolas Becquet: « En observant les usages, on peut améliorer de manière significative le service rendu à l’audience. Des usages en mutation permanente. ». Une fois les défis identifiés, Nicolas Becquet a pu lancer son projet au sein de L’Echo.
La valse à 3 temps de l’innovation de L’Echo
Si le journaliste français a autant bataillé pour mettre sur pied son projet, c’est qu’il est conscient qu’une organisation sans faille est nécessaire à la production de contenus innovants de qualité. L’aventure innovante de Nicolas Becquet au sein de L’Echo se caractérise d’ailleurs par beaucoup d’allers-retours et de tests de l’aveu même du principal intéressé. Cependant, elle peut se résumer en 3 étapes:
- Une rédaction web séparée de la rédaction classique. Chacun son canal, chacun son contenu.
- L’arrivé du « Web First », qui se traduit par une primauté de l’info sur le web. C’est une approche qui s’est faite avec toute la rédaction, notamment sur la sélection des articles du journal qui étaient publiés sur le site.
- L’approche « content first » avec la mise en place d’un logiciel de publication agnostique en termes de format web ou print. On écrit, peu importe le canal et on distribue.
Comment expliquer les frictions inévitables entre print et web dans la #presse? Tentative de réponse https://t.co/8zpt2139AS #journalisme pic.twitter.com/bchMvt3Cv0
— Nicolas Becquet (@NicolasBecquet) September 23, 2017
La variété de formats innovants
Une grande part de la transition numérique de L’Echo réside dans ses formats innovants pensés exclusivement pour le web voire le smartphone. La complexité de l’actualité et son caractère abstrait font naître ces formats atypiques. L’ambition: illustrer l’information. « Le but était de transformer une problématique très abstraite, en quelque chose de concret. Pour ce faire, la meilleure solution est souvent de partir d’un exemple simple, qui nous concerne tous. », confie Nicolas Becquet.
« Le but était de transformer une problématique très abstraite, en quelque chose de concret. Pour ce faire, la meilleure solution est souvent de partir d’un exemple simple, qui nous concerne tous. »
Nicolas Becquet, journaliste à L’Echo
5G, burn-out ou centre de vaccination contre le coronavirus. Tous ces sujets ont donné lieu à des formats novateurs.
Comment rendre concret la vitesse de téléchargement de la 5G? Le pari de L’Echo a été de miser sur une expérience utilisateur hors du commun: tester la puissance de la 5G. Après le titre et un court passage de 653 signes, les lecteurs sont invités à télécharger fictivement divers contenus multimédias en 3G, en 4G et finalement en 5G. Un clic sur le bouton « Lancer » et le chronomètre s’enclenche. Les barres des 3 puissances G se remplissent, chacune à un rythme bien différent. Le contraste est aussi flagrant pour le dernier album d’Artic Monkeys d’une taille de 88 MB que pour le film Bohemian Rapsody de 3,2 GB: d’à peine quelques secondes en 5G on passe à plusieurs minutes en 3G.
Simplifier, concrétiser, mettre en scène, oui mais le point commun de tous ces formats c’est un inébranlable focus sur l’information.
Fact? Fictif? Factif. C’est le format ludique de L’Echo pour sensibiliser à la problématique du burn-out. Inspiré de la BD, il est modernisé avec des échanges façon messagerie instantanée en lieu et place des bulles de dialogue. On y suit 2 personnages: l’un, Olivier, au bord du burn-out et l’autre, sa sœur Laurence, qui le conseille et le rassure. Ce format journalistique décalé est à la fois très qualitatif et plaisant à parcourir. La discussion des personnages est entrecoupée d’encadrés informatifs, de conseils et même d’un baromètre pour mesurer son propre niveau de fatigue. Bien rythmée, la longueur de ce format digital passe inaperçue.
Quid de la complexité à produire ce type de contenus? Selon Nicolas Becquet, tout dépend de la temporalité des informations. « Par exemple, si l’on veut parler des nouveaux centres de vaccination contre le Covid-19, on va se contenter d’une carte interactive dont nous avons déjà préparé les formats en amont. Ce sera simple et rapide à publier. En revanche, pour des articles plus poussés, qui n’ont pas une nécessité immédiate en fonction de l’actualité, ce sera plus long à préparer. », précise le journaliste français établi en Belgique.
Cette variété grandissante de formats innovants témoigne d’une tendance à déconstruire le journalisme classique. Le responsable du développement et de la transformation numérique à L’Echo évoque la volonté de tendre vers un journalisme plus visuel… voire tourné vers l’audio.
Un avenir dans les podcasts audio
Changement de perspective. Pour continuer de déplier la complexité, il faudrait miser sur des contenus plus immersifs. Dans cette optique, la réalité virtuelle parle beaucoup à Nicolas Becquet. Il y voit un grand potentiel pour l’avenir du journalisme. Mais le défaut de cette technologie, ce sont ses dispositifs très lourds. L’alternative? L’audio. Le son est particulièrement adapté à l’immersion car il permet de transmettre des émotions. Ce serait donc un format très prometteur. D’ailleurs, L’Echo a lancé Hors pistes, une série de podcasts qui donnent la parole aux décideurs et décideuses pour questionner le « monde d’après-demain ».
Clubhouse, ce nouveau réseau social exclusivement porté sur l’audio, est-il une piste à explorer? Le journaliste de L’Echo nous met en garde. Ses salles de discussion et son dispositif très simple d’utilisation sont attirants. En revanche, une vigilance est de mise pour ne pas retomber dans une hiérarchie médiatique classique quant à la distribution de la parole. Entendu!
Par Thibaut Clemence, Camille Dupertuis, Margaux Deagostini, Guillaume Joly, Antoine Michel, Damien Piscopiello et Emilien Verdon
Crédit photo : Jean-Pol Grandmont
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Information et médias numériques”, dans le cadre des masters en journalisme et en communication de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.