Avec l’intérêt public comme leitmotiv, plusieurs médias ont décidé d’exceptionnellement mettre à disposition gratuitement certains ou tous les articles concernant le coronavirus. Une pratique qui, agrémentée de l’augmentation du trafic sur les sites internet, débouche sur une retombée positive pour les médias.
Qu’ils soient petits ou grands, connus ou moins connus, certains médias n’ont pas hésité, début mars, à proposer gratuitement les articles liés au coronavirus. «Un devoir civique» pour le journal Le Temps, une «mise à profit de nos journalistes scientifiques pour comprendre les enjeux de la politique sanitaire» pour le site web Heidi.news.
Un devoir civique.
Gaël Hürlimann, corédacteur en chef du journal Le Temps et responsable du numérique.
En temps normal, l’information gratuite est principalement distribuée par les médias de service public. Mais la crise redistribue les cartes et les médias privés se sentent eux aussi concernés. «Des entreprises totalement privées avec un rôle citoyen moins évident qu’un média se sont mobilisées pour aider les Suisses. En tant qu’éditeurs, nous devons être une entreprise responsable et faire jouer notre responsabilité envers les citoyens» précise Gaël Hürlimann, corédacteur en chef du journal Le Temps et responsable du numérique.
À contrario du journal Le Temps, Heidi.news n’a pas mis à disposition gratuitement tous les articles sur le coronavirus mais principalement ceux traitant de la problématique sanitaire. Par la suite, Serge Michel, directeur éditorial du site, et son équipe se sont tournés vers un format différent, une newsletter gratuite. «C’était principalement des témoignages, des portraits et des analyses des personnes dans les hôpitaux.» précise le co-fondateur d’Heidi.news. Pour ce dernier, il était important que les gens aient accès à ces informations librement pour saisir pleinement les enjeux sanitaires.
Cette crise a fait découvrir notre site.
Serge Michel, directeur éditorial d’Heidi.news
Population confinée à la maison, le trafic internet a pris l’ascenseur
«Toutes les crises provoquent forcément une augmentation d’audience» avance Serge Michel. D’autant plus quand la crise en question implique de rester confiné chez soi avec Internet comme principal outil de communication et surtout, d’informations. Pour le site Heidi.news, cela a même été une aubaine. «Cette crise a fait découvrir notre site» se réjouit Serge Michel. C’est peu dire, les visites ont tout simplement été multipliées par dix. D’environ 50’000 par semaine en temps normal, elles ont frôlé les 500’000 durant la crise. Du côté du journal Le Temps le trafic a aussi augmenté drastiquement. Selon le site internet NET-Metrix-Audit, il est passé d’une moyenne de 5 millions de visites à 12,8 millions pour le mois de mars.
Une audience qui explose et des articles d’intérêt public gratuits, un coup marketing pour les médias? «Évidemment qu’il y a une question d’intérêt public à contribuer à la fourniture d’un contenu bien documenté et fiable. Mais il s’agit d’une opportunité de profiter de l’augmentation du trafic sur les sites web afin de maximiser les possibilités de conversion» analyse Clare Cook, spécialiste en journalisme d’entreprenariat, chercheuse et co-fondatrice du Media Innovation Studio. La conversion, un terme utilisé dans les rédactions qui désigne le passage d’un statut non-abonné à abonné suite à la lecture d’un article.
Des abonnements en forte augmentation
Beaucoup de personnes font partie de ces «convertis» grâce aux articles sur le coronavirus. «Bien que 85% de nos contenus étaient payants, les plus de 1000 articles sur le coronavirus ont généré autant d’abonnements à l’aide du bandeau que le paywall. Nous avons même reçu 8 dons», détaille Gaël Hürlimann.
Même son de cloche du coté d’Heidi.news où le nombre d’abonnements est supérieur à la moyenne habituelle. «Les nouveaux abonnés sont extrêmement reconnaissants pour notre travail et les articles gratuits.» Pas de bandeau spécifique chez eux mais par deux fois, ils ont envoyé une newsletter blanche (sans informations) à leur non-abonnés. Un appel au soutien et une manière de rappeler que ce qui fait vivre ce média sans publicité depuis sa création en mai 2019, c’est les abonnements payants. Avec succès. «Il y a eu un pic avec 80 nouveaux abonnés en une journée dans les jours qui ont suivi» s’exclame Serge Michel.
Retour à un fonctionnement classique pour les médias
Depuis deux semaines, la Suisse sort progressivement du semi-confinement, les médias aussi. Depuis une semaine et demi, Heidi.news propose une newsletter différente. Chaque jour un tour d’horizon d’une thématique précise est proposé. «Cela va plus loin que ce que nous faisions avant. Nous ne parlons plus seulement de Santé et de Sciences mais aussi de Culture, d’Économie, ou d’Éducation» explique Serge Michel. Même dans ce contexte difficile, Heidi.news a trouvé le moyen de développer son offre. Quant au journal Le Temps, il a retrouvé, lundi 11 mai, son principe de publication établi il y a une année. Exit donc les articles systématiquement gratuits, Le Temps réappliquera un choix éditorial comme ce fut le cas avant la crise.
Même s’il est évident que la pandémie du coronavirus engendrera des sacrifices économiques dans tous les secteurs, les médias qui auront résisté, pourraient bien avoir élargi leur socle d’abonnés. Reste à savoir si l’audience acquise durant cette période sera toujours présente au moment où les gens ne passeront plus la plupart de leur temps sur Internet.
Ce travail journalistique est issu du projet #médiasconfinés (cours « Compétences numériques pour le journalisme ») dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.