Le manque d’ouverture et de transparence des médias influence particulièrement l’élection présidentielle ukrainienne qui bat son plein. Les deux principaux candidats profitent du système en place pour asseoir leur domination grâce à leur propre canal de diffusion. Parmi eux, le favori Volodymyr Zelensky, un humoriste populaire sans aucune expérience, mais qui surfe sur sa notoriété médiatique.
En 1980, le célèbre humoriste français Coluche s’était lancé assez ironiquement dans la course à la présidentielle. Aujourd’hui c’est un scénario du même acabit qui est en train de se produire en Ukraine. A une exception près: le comédien est cette fois-ci en passe de l’emporter et prend les choses bien au sérieux.
Volodymyr Zelensky, l’humoriste phare de la première chaîne du pays, 1+1, a aisément dominé le premier tour des élections ukrainiennes en récoltant 30.2 % d’intentions de vote. Face à lui, le président sortant Petro Porochenko se trouve déjà largué avec seulement 15.9%. Leur point commun: une grande visibilité au sein des médias ukrainiens. Le second nommé possède actuellement pas moins de cinq chaines. Elles sont bien évidemment dévouées à sa cause et reflètent parfaitement la manipulation qui gangrène l’Ukraine d’aujourd’hui. Quant au comédien de 41 ans, il est omniprésent sur la première chaîne du pays.
Les résultats du premier tour des élections présidentielles en #Ukraine sur 95,6% des bulletins de vote dépouillés :#Zelensky 30,2%#Porochenko 15,9%#Timochenko 13,4%#Boyko 11,6% pic.twitter.com/AsUAQlmRry
— mathieu gallard (@mathieugallard) 1 avril 2019
Un candidat mystérieux
«Actuellement, on ne sait rien du programme de Zelensky, les seules indications que l’on peut avoir sont celles de son entourage. On connait ses amis et sa famille, mais pas ses convictions», a déclaré sans détour Jakub Parusinski, président de Média Development Foundation, un centre d’expertise non lucratif basé à Kiev et qui a pour but de responsabiliser les journalistes sur leurs devoirs. Si Volodymyr Zelensky deviendra vraisemblablement président à l’issue du second tour qui aura lieu le 21 avril prochain, ses objectifs restent un mystère tout entier.
L’unique information qui semble véritablement avérée, est sa relation avec l’oligarque Ihor Kolomoïsky, président de la chaîne de télévision 1+1 et qui diffuse l’ensemble des émissions avec Zelensky. Certains craignent même que l’acteur ne soit qu’une marionnette de Kolomoïsky, clairement marqué pro-russes.
#Ukraine Le comique Volodymyr #Zelensky arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle. S’il profite d’une aspiration au changement des élites, il est lui-même proche d’un oligarque.. https://t.co/5od7SFd7EU pic.twitter.com/ZaXZXlamt9
— L’Humanité (@humanite_fr) 2 avril 2019
Un débat surréaliste
« La situation en Ukraine est préoccupante, parce qu’il y a pourtant beaucoup d’innovations qui sont faites depuis 2014 pour l’amélioration du journalisme. », glisse amèrement Jakub Parusinski, qui regrette que les politiciens s’enferment sur leurs plates-formes.
Les deux candidats n’ont pas dérogé à la règle et ne se sont pas mouillés: ils sont tout deux restés au sein de leur propre média. « Porochenko comme Zelensky ne répondent qu’à des questions faites sur mesure et sur leur média. Il est quasiment impossible pour un média indépendant de les faire se frotter l’un à l’autre ou de les mettre en difficulté. Ils refusent tout simplement le débat et d’aborder les thématiques problématiques », regrette Anastasia Stanko, co-fondatrice d’un média indépendant ukrainien.
Si le débat n’a pas encore eu lieu, l’espoir perdure encore. Il est aujourd’hui quasiment acquis que les deux opposants débattront ensemble lors d’une immense réunion dans un stade de football. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, ce débat découle de la volonté de celui qui a le plus à perdre: l’humoriste Zelensky. A moins que cela soit de nouveau une immense blague du comédien favori des Ukrainiens.
3 questions à Anastasia Stanko, journaliste ukrainienne et co-fondatrice du média indépendant Hromadske.1) Pouvez-vous nous décrire l’influence que peuvent avoir les médias sur la politique ukrainienne ? Actuellement il y a environ cinq chaînes qui appartiennent à Porochenko. Du côté de Zelensky il n’y a qu’une seule chaîne (1+1) à le soutenir, mais c’est la plus populaire du pays. Sur cette unique chaîne, il apparait sur cinq à six programmes. Si ce n’est que de la comédie, il faut savoir que tout le monde regarde ces shows très populaires au pays. Dès fois, on a l’impression que les gens ont de la peine à dissocier le personnage qu’interprète Zelensky et sa véritable personnalité. Il joue notamment le rôle d’un professeur d’histoire qui devient président dans un pays où tout va bien et tout à l’air si simple. 2) Vous travaillez vous-même dans un média indépendant, comment faites-vous pour couvrir cette élection présidentielle ? C’est sûr que nous devons couvrir ce genre d’évènement, d’autant plus que cela reste populaire pour nos téléspectateurs. Ces derniers veulent savoir quels sont les véritables projets des candidats. Malheureusement, en tant que média indépendant on ne peut même pas connaître la vérité, étant donné qu’ils refusent d’être interrogés par un autre média que le leur. Zelensky n’a jamais accepté qu’on le questionne et pourtant il déclare publiquement se positionner en faveur de la liberté de la presse. Avec lui, on ne sait jamais s’il est en train de blaguer. 3) Qu’est-ce qui pourrait donc changer pour les médias si Zelensky se voyait accéder à la présidence ? On ne sait pas grand-chose sur les convictions de ce comédien si ce n’est que l’oligarque Ihor Kolomoïsky, le propriétaire de la chaîne 1+1, le soutient. On voit aussi que cette chaîne, qui se veut ouverte, répand des fake-news sur l’opposant Porochenko. C’est pour cette raison que l’on ne peut pas croire que Zelensky va combattre la manipulation qui règne sur le pays. J’ai l’impression qu’aujourd’hui les gens votent plus en défaveur de Porochenko que pour Zelensky. Les Ukrainiens sont déçus de ce qui a été fait par le président actuel et de toute cette corruption qui règne encore aujourd’hui. |
Crédits photo : Wikimedia