Mario Vasilescu a développé une technologie pour mettre en valeur des contenus web en fonction de leur qualité, et non de la quantité de clics qu’ils génèrent. Il veut croire que l’un des pires travers du net est en passe de prendre fin.
En 2017, le Syndicat national des journalistes français (SNJ) accusait ouvertement le journal Ouest-France de se soumettre à la « dictature du clic » au mépris de la déontologie, en autorisant des amateurs à publier des articles sur son site sans procéder à aucune vérification éditoriale. Fait insolite: c’est justement Ouest-France qui s’inquiétait, deux ans plus tôt, des conséquences de l’idéologie du « clic à tout prix » sur l’avenir du journalisme.
Un modèle économique très répandu
La monétisation publicitaire de contenus indexée sur le nombre de vues qu’ils génèrent est monnaie courante sur internet. Il s’agit notamment du business model de YouTube. Dans la vidéo ci-dessous, un YouTubeur explique même à ses homologues ses secrets de fabrication pour réaliser une « miniature putaclic ». Autrement dit, une image fixe donnant envie aux gens de cliquer sur la vidéo pour la faire démarrer. Chaque clic ainsi conquis de haute lutte participera à la rémunération du créateur de la vidéo (et de YouTube).
Mais les Youtubeurs, dont les contenus sont pourtant essentiellement destinés au divertissement et non à une recherche rigoureuse de la vérité, souffrent de cette course aux clics et sont parfois victimes de burn-out.
Imaginez la catastrophe si le journalisme sur le web était soumis au même type de business model! Eh bien cette catastrophe est déjà en cours depuis plusieurs années. Avec des résultats que l’on qualifiera de… navrants.
En 2016 le journalisme est mort! La dictature du clic… https://t.co/s3L889h7lR
— Antoine-K Mokrane (@AntoineMokrane) December 22, 2016
Si certains médias ont la culture du clic dans leur ADN, d’autres, plus axés sur la qualité, se sont vus contraints de « vendre leur âme au diable » : créer des contenus générateurs de clics dans l’espoir d’attirer des internautes vers leurs productions de qualité. C’est que les plateformes comme Facebook apportaient à certains médias jusqu’à la moitié de leurs audiences sur le web provenant de sites tiers. C’est que les plateformes comme Facebook apportaient à certains médias jusqu’à la moitié de leurs audiences sur le web provenant de sites tiers, à la grande époque. Le pouvoir de ces plateformes était tel que la plupart des médias ont été contraints de se soumettre.
L’espoir d’un avenir meilleur
Dans ce tableau des plus sombres, quelques individus isolés s’emploient à faire émerger une lueur d’espoir.
Oui, la doctrine du « clic à tout prix », érigée en religion par ceux qui la pratiquent, n’est en fait qu’une mode et se résorbera bientôt. Oui, les médias seront à nouveau libres de privilégier la qualité à l’attractivité et à la compétition. Du moins, c’est ce que certains veulent croire.
Web : vers la fin de la dictature du clic ? Les grands médias y croient via @LesEchos
— Aurélie Abadie (@aurelie_abadie) May 3, 2016
En 2014 déjà, Tony Haile, le fondateur de Chartbeats, a proposé privilégier la mesure de l’attention des internautes au simple comptage des clics. Concrètement, plusieurs modèles pour remplacer la culture du clic ont été étudiés ces dernières années, comme l’évaluation de la qualité d’un article par rapport au temps de lecture moyen qu’il génère.
À l’heure actuelle, aucun business model alternatif viable n’a réellement émergé. Mais le changement d’algorithme de Facebook en 2018, a fait perdre aux médias une grande partie de leur audience reconduite depuis la plateforme. Face à cet abus de pouvoir, lesdits médias se sont aperçus de leur vulnérabilité, donc de leur dépendance à Facebook. L’heure de la fin des « clics à tout prix » a sonné.
Vers un nouveau paradigme
Il en est un qui ose claironner que la « bulle du clic » (en référence aux bulles spéculatives qui gangrènent le monde de la finance) a déjà éclaté. Il s’agit de Mario Vasilescu, directeur et fondateur de Readefined.com, un site dont la technologie serait capable de privilégier les contenus de qualité à ceux qui génèrent le plus de vues.
Avant de crier au messie, notons tout de même que Mario Vasilescu n’est pas un bienfaiteur désintéressé du journalisme et de l’humanité, mais bien le PDG d’une entreprise à but lucratif.
Il vend une technologie censée pouvoir déterminer la valeur d’un contenu médiatique non plus au nombre de clics qu’il génère, mais à la « qualité » de ces clics, autrement dit au comportement réel des internautes confrontés audit contenu.
Le Canadien a basé son business model sur une analyse dont la conclusion est la suivante: la doctrine du « clic à tout prix » serait déjà derrière nous!
Un rêve devenu réalité?
L’analyse de Vasilescu se base sur le concept de « bulle », soit une denrée qui a théoriquement de la valeur, mais dont la grave méconnaissance par les parties prenantes (industriels, investisseurs) donne lieu à des spéculations excessives et à une émulation généralisée.
Sauf que la denrée en question (ici, l’attention du public) n’est pas assez solide pour répondre aux attentes sur le long terme, car elle a été perçue par un prisme erroné.
L’attention du public étant mesurée au prisme du nombre de clics, il était longtemps impossible de savoir par exemple si un internaute a regardé une vidéo en entier ou seulement les trois premières secondes de celle-ci. Cette défaillance a été réglée depuis, mais le mal est fait.
Il en résulte des dérives, en l’occurrence la possibilité pour un site internet d’acheter des « faux clics » en masse afin d’attirer des annonceurs sur un site prétendument très populaire.
Ce type de fraude est, selon Vasilescu, la deuxième activité de crime organisé la plus lucrative au monde après le trafic de drogue.
En plus d’être trompés par les fraudeurs, les annonceurs du web font les frais d’un business model défectueux – où les intermédiaires entre eux et l’éditeur du site sur lequel se trouvera la publicité sont si nombreux que 60% de l’argent investi par l’annonceur disparaît purement et simplement, sans jamais parvenir à son ultime destinataire.
« Le business model est la cause du problème »
Procter&Gamble, un des plus gros annonceurs au monde, s’est récemment aperçu des nombreuses failles du business model, et les investissements dans des sites internet réputés générer beaucoup de clics comme Vice ou Buzzfeed ont drastiquement diminué, toujours selon Vasilescu.
Le temps est donc venu d’attirer les annonceurs sur le web non plus en brandissant des chiffres superficiels, mais en pouvant se targuer d’intéresser les internautes, d’être capable de les conserver et de les fidéliser.
À en croire l’entrepreneur canadien, le fantasme d’une victoire du qualitatif sur le quantitatif est d’ores et déjà devenu réalité. Libre à chacun de nourrir un scepticisme quant à ce dernier point. Il n’en demeure pas moins que le journalisme de qualité, grandement mis à mal ces dernières années, peut voir en ce changement de paradigme une occasion inespérée de rebondir.
Crédits photo: Loric Roberti