Les intelligences artificielles (IA) se sont immiscées dans le domaine du journalisme. Si certains y voient un outil œuvrant en faveur du renouveau de la profession, beaucoup de journalistes redoutent que cette technologie soit bientôt appelée à les remplacer.
Le mirage autrefois romantique du robot capable de synthétiser des données et de les retranscrire dans un article lisible, en procédant plus ou moins à la manière de notre cerveau, est désormais une réalité. Une IA du Washington Post a publié 850 articles en une année, et réalisé des performances hors de portée de ses homologues humains, notamment en matière de veille journalistique.
Baptisée « Heliograf », cette IA a compilé des informations ou des résultats sportifs pour en faire des articles lisibles par tout un chacun. Les développeurs assurent que ce type d’articles n’avait jamais été réalisé auparavant, et ne seront qu’un complément à ce que fait déjà la presse d’aujourd’hui. De nombreux journalistes redoutent toutefois une succession par les robots. De fait, les extensions et améliorations permanentes apportées aux compétences de ces IA pourraient bien finir par mettre les journalistes au chômage technique…
En Suisse, Tamedia a développé sa propre IA, le robot « Tobi », capable de produire 40’000 articles personnalisés en une seule journée sur un sujet spécifique, en l’occurrence une votation fédérale. L’éditeur zurichois se montre dithyrambique quant aux performances de son nouveau joujou et promet, outre monts et merveilles, que « Tobi » ne remplacera pas le travail des journalistes humains.
Les tâches qu’il accomplit sont présentées comme étant complémentaires. Quoi qu’il en soit, force est d’admettre que la performance accomplie par « Tobi » est impressionnante, et qu’aucun homme ou femme ne serait capable de régater.
Le risque d’outrepasser leurs fonctions
Les contenus réalisés par une IA peuvent plaire au public, certes. Cependant, la question de confier un travail intellectuel à des robots reste en suspens. En effet, il réside dans l’intérêt public et semble nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.
Le concept même de robot, dérivé du mot tchèque robota désignant un travail harassant ou une corvée, découle d’une volonté de suppléer les individus dans les tâches les plus fastidieuses, la plupart étant de nature physique. Les performances d' »Heliograf » et de « Tobi » correspondent pour l’instant à ce principe. En effet, compiler une telle somme d’informations et les synthétiser dans un article personnalisé en fonction du profil du lecteur consiste évidemment en une corvée pour un journaliste. Il relève voire même du domaine de l’impossible.
Cela étant dit, les développements futurs de cette technologie ne risqueront de marcher sur les plates-bandes des professionnels, notamment en termes d’analyse de faits et de données. Les questions d’éthiques risqueront notamment de se multiplier. Par exemple: le peuple connaîtra-t-il les opinions politiques des programmateurs d’une IA qui analyserait des discours de politiciens? Les intelligences artificielles du futur disposeront-elles de chartes éthiques compatibles avec les nôtres?
La peur d’un « Grand Remplacement »
Le magazine Bilan prend cette problématique très au sérieux et relaye une étude anglo-saxonne qui considère les IA comme une menace pour le devenir du métier de journaliste. En Chine, la Xinhua News Agency a d’ores et déjà initié le mouvement en substituant un robot au traditionnel présentateur du journal télévisé.
Malgré l’investissement colossal pour arriver à un tel perfectionnement technique, l’agence de presse chinoise légitime le remplacement du présentateur TV par une IA en utilisant le mot magique du système néo-libéral: « réduire les coûts de production ».
Une autre question reste en suspens: une fois l’effet de mode passé, qui préférera lire un article rédigé par un robot plutôt que par un journaliste en chair et en os, capable de traits d’esprit, d’analyse, de philosophie, d’humour et d’émotion?