La démocratisation du réseau social Twitter a imposé une révolution dans la communication du Comité international de la Croix-Rouge. «Twitter a changé ma vision du monde humanitaire» confie son directeur général, Yves Daccord.
«Le tweet qui m’a le plus marqué ? Celui du groupe extrémiste musulman Al-Shebab de Somalie.» C’était en 2012. Le compte Twitter du CICR existait depuis deux ans. Yves Daccord était déjà à son poste de directeur général du CICR.
Un tweet a forcé la prise de conscience du CICR
«Le message des Al-Shebab était dur, il affirmait que le CICR ne distribuait pas de la bonne nourriture. Oui, ça nous a mis sous pression.» La provocation a eu pour conséquence un blocage des activités du CICR sur le territoire somalien et a forcé une prise de conscience et une réaction vive de la part de l’équipe de communication de l’organisation humanitaire. Elle avait sous-estimé un aspect émergent de l’usage du réseau de microblogging.
«Dans les pays en développement, les groupes combattants savent extrêmement bien utiliser les réseaux sociaux.» En conséquence, le CICR ne peut plus négliger le suivi des comptes de ces différents insurgés qui communiquent leur positionnement via Twitter. «L’exemple des dernières crises tunisiennes et égyptiennes qui se font sans leadership nous a beaucoup intéressés.»
Twitter permet aux communautés civiles et aux victimes de s’exprimer directement, sans notre intermédiaire
De manière franche et directe, le jeune « twitto » Yves Daccord, 265 tweets, 203 abonnements et 835 followers à son compteur, insiste sur la force et l’efficacité du réseau Twitter pour l’institution genevoise. Sa vision du monde humanitaire en a été changée: «Avant, les organisations humanitaires classiques voyageaient et témoignaient de la souffrance des victimes et de leurs conditions. Twitter permet aux communautés civiles et aux victimes de s’exprimer directement, via Twitter et sans notre intermédiaire.» Un bouleversement qui a donc demandé à l’équipe des relations publiques du CICR de revoir sa manière de communiquer.
Apporter un message personnel aux questions qui interpellent
«140 signes oblige, le tweet permet de cibler et de choisir un élément beaucoup plus clair et plus direct dans nos messages» nous explique-t-il. Pour le directeur général, actif sur la plateforme en son nom et en celui du CICR depuis six mois, il s’agit d’apporter un message personnel aux différentes questions qui l’interpellent. Sur un événement comme la prise de décision sur le Arms Treaty (traité sur les armes), Yves Daccord a notamment tweeté:
«Lors de mes missions, je vais essayer de créer de la substance et d’apporter une dimension personnelle en capitalisant sur ce que je fais.» Mais pas seulement. Pour Yves Daccord, Twitter sert également d’alerte sur des enjeux humanitaires chauds, comme Guantanamo. Le matin même de notre interview, Yves Daccord est tombé sur un tweet relayant la stupeur d’un lecteur sur un éditorial du New York Times: «Cet éditorial rédigé par un détenu (Samir Naji al-Hasan Moqbel, ndlr) m’a fait savoir quel message je peux faire passer.» Son post le plus retweeté (64 retweets) concerne notamment la grève de la faim dans la prison de Guantanamo:
Pourquoi Yves Daccord a-t-il décidé de s’impliquer sur le réseau social Twitter ? «Parce que le CICR a compris aujourd’hui qu’il fallait que l’on s’engage au-delà de la transmission de communications générales.» Ils sont deux du CICR à être autorisés à twitter au nom du CICR. Yves Daccord lui-même et Carla Haddad Mardini, porte-parole, qui tweete exclusivement sur la question du work-life balance pour les femmes et les hommes qui doivent jongler entre vies professionnelle et familiale. Le reste de l’équipe de communication se divise en deux cercles: le premier, c’est le fil d’information général du CICR en plusieurs langues. Et le deuxième, des communicateurs de terrain qui tweetent en lien avec les enjeux de la région. Les règles sont claires: «Les membres du CICR sont relativement libres de tweeter et ne sont pas contrôlés, mais leurs messages doivent parler des priorités du moment. Dire que l’on prend sa douche, Nobody cares.»
Un outil de mobilisation
Rapide et efficace, Twitter est aussi, pour Yves Daccord, un outil de mobilisation. «Très intéressant dans les pays comme le Mexique, quand je suis allé visiter le ministre de l‘Intérieur, j’ai compris qu’il était important d’être présent sur ce réseau social. Il a tweeté avant notre rencontre, il a tweeté après, on a tweeté ensemble.» Le directeur général pose les poings sur la table et conclut: «Le tweet, you are in or you’re not.»