Dans la petite commune des Ponts-de-Martel, Ludovic Messerli, à la tête de l’abattoir coopératif, s’inquiète pour l’avenir de son métier. Reportage dans le cadre de notre Masterclass internationale: Immersion 24h dans Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds
Avant de rentrer dans son abattoir, Ludovic Messerli passe au pédiluve et se change. Il est 14h30, l’abattage du matin est terminé. Les carcasses de bovins, pendues au plafond, attendent dans un froid glacial d’être chargées dans un petit camion. Chaque semaine, des centaines de bêtes sont tuées dans cet abattoir par une dizaine de bouchers. Mais les jeunes du canton sont peu enclins à prendre la relève.
«Ce n’est pas la profession la plus facile non plus. Avec des journées qui commencent à 3h45 du matin (2h30 parfois), qui durent 9-10 heures et des courbatures qui apparaissent facilement, le métier n’attire pas», déplore Ludovic, responsable de l’exploitation de l’abattoir, en montrant les outils d’électrocution de mise à mort pour les porcs. Derrière son imposante barbe, il explique comment la mécanisation a révolutionné leur métier. Plus question de transporter des carcasses à dos d’homme, mais sur des rails, ce qui ne règle pourtant pas tout.
Les employés effectuent des mouvements répétitifs. Debout des heures durant, ils travaillent à un rythme intense. Il leur faut d’abord tuer la bête, puis la saigner, la dépecer, la peser… L’odeur permanente de sang et de fer vient s’ajouter au bruit assourdissant des machines pendant les journées de travail.
Cette pénibilité n’encourage pas l’arrivée de nouvelles recrues dans ce secteur. «Le métier n’attire pas, il n’est “pas fun” ni glorifié, parce qu’il est question de tuer des animaux.» Les plus jeunes sont aussi refroidis par les récents scandales et actions militantes autour des abattoirs, qui ternissent l’image des métiers et pointent du doigt les abus. «On ne tue plus les bêtes à la maison aujourd’hui, donc les gens ne sont pas habitués, d’où un changement de perception.»
Dans le canton, les boucheries ont des difficultés à survivre, «elles disparaissent avec les petits commerces. Il n’en reste qu’une à Neuchâtel et une à Bienne», affirme le boucher. «Moi, je mange de la viande trois fois par jour», reprend-il, face à la baisse de consommation dans la région et à la disparition des commerces.
Mais l’abattoir continue de vivre, notamment grâce à son statut de coopérative. Il est aujourd’hui indispensable, le seul survivant à la disparition de ses semblables dans les cantons de Neuchâtel et du Jura. Les éleveurs du coin, concentrés dans le Haut, n’ont pas d’autre lieu pour faire abattre leurs bêtes. Selon Ludovic, l’établissement est aussi installé dans un marché de niche: la viande de qualité. L’heure est au local et au bio. La société coopérative des abattoirs compte bien surfer sur cette vague.
LAVIANA ROTILI, KEVIN DUPONT, CLÉMENT DI ROMA, JULIE MÜLLER
L'ENCADRÉ RÉFLEXIF: «Ce n’est pas une bonne pub»
Le responsable de l’abattoir considère les photos comme un élément sensible qui ne doit pas être divulgué au public, de peur de heurter les sensibilités. Il craint que de telles images puissent être mises en parallèle avec les fuites d’images organisées par l’association 269 Libération Animale, qui dénonce la maltraitance animale. Des photos et vidéos qui ont une capacité virale importante et choquent le public, que les abattoirs suisses préfèrent éviter. Malgré sa réticence, nous avons pu ramener plusieurs photos avec son accord. L’essentiel était d’engager un dialogue pour éviter l’aspect sulfureux du sujet et se concentrer sur la pénurie de professionnels.