Faire du livre un objet tendance sur Instagram, c’est le tour de force de Martin Boujol. Rencontre avec ce Genevois devenu en quelques années la coqueluche du monde littéraire francophone avec son compte « La nuit sera mots ».
Des livres, chez Martin Boujol, on peut dire qu’il y en a. Dans sa chambre, au salon, sur les tables… L’influenceur de 27 ans vit entouré des grands textes qui ont bâti la littérature depuis plusieurs siècles. Classiques, essais politiques, récits contemporains, romans graphiques, la bibliothèque du « Bookstragrameur » est riche d’histoires. Des univers qui s’entrechoquent, qui encouragent à la rêverie et poussent à s’interroger sur le monde. Mais pour les découvrir, encore faut-il savoir comment s’y prendre. Pour cela, il suffit de suivre « La nuit sera mots ». Chaque jour, sur son compte Instagram, Martin Boujol partage avec plus de 200’000 personnes ses recommandations livresques et ses astuces pour se réconcilier avec la lecture.
Une success-story littéraire
L’histoire de « La nuit sera mots » est celle d’un amoureux des livres qui, grâce à sa compréhension des logiques de communication, a su déchiffrer la grammaire des réseaux sociaux et permis à la littérature de rayonner sur petit, très petit écran. Grâce à lui, Jack London, Romain Gary et Annie Ernaux tutoient désormais le footballeur Kylian Mbappé et la Youtubeuse Léna Situations dans les tendances d’Instagram.
«Mon objectif, en créant mon compte Instagram, c’était d’obtenir gratuitement toute la collection blanche de Gallimard», avoue l’influenceur. C’est en 2019, lors d’un voyage en Thaïlande, qu’il poste sa première publication. Ses premières photos sont simples, mais il ne tarde pas à sophistiquer son contenu en développant une identité graphique sur sa page : un fond dans les tons bleus et quelques plantes pour habiller l’espace et mettre en valeur les livres présentés. Ces publications sont reconnaissables, et ça fonctionne ! Martin Boujol se fait remarquer.
En 2020, il reçoit son premier livre de la part d’une maison d’édition pour en faire la promotion. À l’époque, il est déjà suivi par quelques milliers de personnes, mais son audience se compose presque exclusivement de lecteurs confirmés. Il peine encore à toucher le grand public. En avril 2022 pourtant, une vidéo va le propulser. « En quatre jours, j’ai gagné une quantité astronomique d’abonnés, se souvient le Genevois, j’ai cru qu’on m’avait hacké. » Dans cette vidéo « 5 classiques à lire en un après-midi (ou moins) », on retrouve les ingrédients qui vont, plus tard, faire le succès de son compte : des formats courts et incitatifs, des visuels léchés, et une voix grave qui attrape l’auditeur.
La tête dans les bouquins
Avant d’être un grand influenceur, Martin Boujol est avant tout un grand lecteur. Une histoire d’amour qui a commencé avec la fantasy : « Quand j’étais petit, je faisais la queue pour le nouvel Harry Potter ou le nouvel Eragon. » Des mondes magiques qui ont construit son imaginaire d’enfant. Du dragon saphir et du sorcier à lunettes, il est ensuite passé à l’aviateur franco-polonais : « Au Cycle d’orientation, un professeur m’a initié à Romain Gary avec Les Cerfs-volants. Depuis, j’ai lu avec application tous les livres du programme scolaire jusqu’à la fin du Collège. »
Dix ans plus tard, Martin Boujol vit de son activité sur les réseaux sociaux, mais il ne rêve pas de gloire et de paillettes : « Mon métier idéal, ce serait libraire, révèle-t-il en fixant sa bibliothèque. Si on me payait pour lire, je ne ferais que ça. »
Un porte-drapeau de la littérature
« L’idée, c’est de montrer que la littérature n’est pas que sèche et aride, elle peut être fun », promet le Bookstragrameur. Alors que la plupart des maisons d’édition helvétiques vivent des moments compliqués, parvenant à garder la tête hors de l’eau grâce aux subventions publiques et privées, des initiatives comme celle de Martin Boujol sont les bienvenues.
Le prochain objectif pour le Genevois : faire la promotion de la lecture dans le milieu scolaire. « Je veux aller dans les écoles, parler aux jeunes, les pousser à ouvrir un bouquin avec envie, lance-t-il. Faire lire, c’est la mission que je me suis lancée ! »
Si Martin Boujol souhaite tant partager sa passion avec la nouvelle génération, c’est parce qu’il est convaincu que la littérature rend meilleur. « Je ne connais aucun grand lecteur stupide et méchant. Se plonger dans les histoires de personnes plurielles et éloignées de nous, cela permet de mieux comprendre les gens et leurs failles. »
Et en attendant d’animer des ateliers lecture dans les écoles, de tenir par la main les élèves pour leur première rentrée à Poudlard, Martin Boujol poursuit sa mission d’ambassadeur du livre sur Internet. En octobre dernier encore, il buvait un café à Paris chez l’auteur Amin Maalouf pour discuter avec lui du métier d’écrivain. L’interview est disponible sur son compte Instagram.