Payer un timbre freine-t-il la participation politique? Le parti socialiste de la ville de Neuchâtel en est convaincu. Pour le rendre gratuit, il a déposé une interpellation traitée lundi dernier par le Conseil général. Mais c’est au canton de décider.
«Ne pas voter peut coûter infiniment plus cher que le coût réel de l’affranchissement des enveloppes de votes», annonce d’emblée l’élue socialiste de Neuchâtel Patricia Sorensen lors de la séance du Conseil général qui siégeait à Valangin lundi 8 mai. Son groupe a déposé une interpellation dont l’objectif est clair: (ré)instaurer la gratuité du vote par correspondance. Pour rappel, dès 2001, l’enveloppe de vote était pré-affranchie par Neuchâtel. Mais par souci d’économie, les frais d’envoi des bulletins de votes sont depuis 2006 à la charge des citoyens. Le parti social estime toutefois que payer un timbre en cas de vote postal restreint la participation aux scrutins, alors que le vote est un droit fondamental en démocratie.
Une mesure dépendante du canton
Néanmoins, répondant à l’interpellation, la présidente du Conseil communal Nicole Baur a très vite donné le ton: les juristes et la chancellerie sont formels, la commune de Neuchâtel n’a pas le pouvoir de rendre gratuit le vote par correspondance. Un fait que rappelle également Pierre Leu, chef de service des communes neuchâteloises. «C’est une décision que les communes ne sont pas en droit de prendre de leur propre chef. Seul l’État neuchâtelois a le pouvoir de légiférer en ce sens». Depuis 2013, le Conseil fédéral laisse la possibilité aux cantons qui le souhaitent d’appliquer cette gratuité pour les communes qui en font la demande.
Pourtant, l’initiative n’est pas morte-née, car une commission temporaire du Grand Conseil est justement en train d’étudier des questions démocratiques, dont la possibilité pour le Canton de laisser aux communes le choix de la gratuité du vote par correspondance, et ce, à leurs propres frais. Nicole Baur et le Conseil communal ont proposé le report des discussions après cette échéance cantonale, mais ont profité de l’occasion pour présenter une analyse de la faisabilité de cette mesure pour la commune de Neuchâtel.
Pas plus de 50’000 francs par année
D’après leurs calculs basés sur le taux de participation de 39% aux 9 scrutins ayant eu lieu depuis la fusion de Neuchâtel, la mesure coûterait à la commune entre 10’000 et 50’000 francs, selon le nombre de votants par correspondance. Une somme que la Présidente du Conseil communal Nicole Baur juge «dérisoire», malgré des comptes communaux dans le rouge.
Mais Pierre Leu, alerte tout de même: «Si le taux actuel de vote par correspondance devait augmenter, cela ne serait pas forcément possible pour les communes du canton de Neuchâtel d’en assumer les frais». À titre de comparaison, le Conseil fédéral avait déjà rejeté une interpellation parlementaire en 2013, justifiant que le coût de l’opération dépasserait le million de francs par année.
La gratuité pour augmenter la participation
Au niveau national, on dénombre huit cantons qui paient l’affranchissement des enveloppes à leurs citoyens et quelques communes. En Suisse romande, seuls le canton de Genève applique cette gratuité, ainsi que quelques communes fribourgeoises, mesure instaurée après une réorganisation des bureaux de vote ou une fusion, faisant figure d’exception. Mais est-ce que ça marche? Selon une étude menée à l’Université de Fribourg en 2017 par Mark Shelker sur le canton de Berne, une augmentation du taux de participation de 1,8% par scrutin est observée pour les communes qui facilitent la procédure de vote en pré-affranchissant les enveloppes.
«C’est de notre responsabilité de faire augmenter le taux de participation aux élections», a insisté Patricia Sorensen à Valangin. Il faut dire que depuis quelques années, le canton voit son score chuter, jusqu’à faire partie des plus bas du pays, comme ce fut notamment le cas en 2019, selon l’Office fédéral de la statistique.
Une faible participation qu’a aussi déplorée le groupe Vert’libéral. Pourtant, il estime que le problème se situe ailleurs. «Ce taux particulièrement bas de votants est bien plus complexe que le simple prix d’un timbre. C’est sans doute en mettant en place des mesures qui ciblent davantage les jeunes que ce taux pourra évoluer favorablement», a souligné Sylvie Hofer-Carbonnier devant l’assemblée.
Une mesure profitable à la droite
Côté PLR, c’est l’élu Jules Aubert qui a porté les doutes de son groupe devant le Conseil général, questionnant le rôle de l’Etat. «À quel point doit-il intervenir pour faciliter l’accès au vote?». Le parti libéral-radical témoigne de son envie d’instaurer un cadre de vote souple pour l’expression démocratique. Mais de l’autre côté, il a «le désir de croire que le sens civique des citoyens ne devrait pas être tiraillé par le simple fait de devoir acheter un timbre. Il est possible de déposer l’enveloppe dans la boîte communale ou même d’acheter un timbre par sms, sans alourdir les comptes de la commune», rappelle Jules Aubert, peu convaincu par l’argumentaire du PS. Une possibilité également soulignée par le Conseil communal.
La solution du PLR? Ajouter un papillon d’information dans les enveloppes de vote, rappelant les possibilités de déposer son bulletin gratuitement. Et concluant son intervention, Jules Aubert a aussi tenu à remercier le PS pour le désintérêt de sa proposition. En effet, selon l’étude de l’Université de Fribourg, dans le canton de Berne, la gratuité du vote par correspondance aurait profité à la droite, lui ramenant plus de votes. Une spécificité qui s’explique, d’après l’étude, car «le soutien à la droite politique semble plus fort dans les communes aux niveaux de revenus plus faibles».
Le vote par correspondance en quelques dates
2001 : Le vote par correspondance est introduit à Neuchâtel. L’enveloppe est pré-affranchie.
2006 : Par mesure d’économie, la gratuité du vote par correspondance est stoppée.
2013 : Une élue UDC au Conseil National dépose une interpellation nommée “Vote par correspondance gratuit dans toute la Suisse”. Dans sa réponse, la Confédération estime que la mesure coûterait plus d’un million pour un taux de 43% de participation, dont 80% par correspondance. En alternative, elle compte sur l’introduction du vote électronique.
2021 : Les communes de Neuchâtel, Corcelles-Cormondrèche, Peseux et Valangin fusionnent. Il est possible de déposer son enveloppe de vote dans la boîte communale de chaque chef-lieu.
2023 : Une interpellation socialiste au Conseil général de Neuchâtel souhaite réintroduire la gratuité du vote. La discussion est repoussée jusqu’à décision d’une commission du canton.