Les principales factions du Soudan du Sud sont récemment parvenues à un accord de cessez-le-feu. S’il entend pérenniser la paix, le jeune État africain doit désormais se donner les moyens de juger les coupables de crimes de guerre et de violations des droits de l’homme.
« Cette résolution envoie le meilleur signal, en continuant de dédier une attention prioritaire au Soudan du Sud ». Nicolas Agostini, délégué à l’ONU pour l’ONG DefendDefenders, souligne l’importance de la décision prise par consensus le 22 mars dernier par les 47 membres du Conseil des droits de l’homme (CDH) à Genève.
La résolution en question vise à renouveler le mandat de la Commission d’enquête au Soudan du Sud, qui s’attèle à rassembler les preuves d’atteintes graves aux droits de l’homme, afin de punir d’une part ses responsables, et d’offrir d’autre part une réparation aux victimes, dans le cadre d’un futur procès.
#HRC40 adopts RES on situation of #HumanRights in #SouthSudan. Decides to extend mandate of Commission on Human Rights in South Sudan for 1year. Requests #CoHRSouthSudan oral update at #HRC42 report at #HRC43 & share with @_AfricanUnion @unmissmedia @UN
— HRC SECRETARIAT (@UN_HRC) 22 mars 2019
Violence sexuelle de masse
Indépendant en 2011, la République du Soudan du Sud a sombré dans la violence fin 2013. Le président Salva Kiir, de l’ethnie Dinka, avait alors accusé Riek Machar, son ancien vice-président et membre de l’ethnie Nuer, de fomenter un coup d’État, avec en toile de fond, une lutte acharnée pour le contrôle des ressources pétrolières, dont le pays tire 98% de sa richesse.
La guerre aurait déjà fait près de 400’000 morts et des millions de déplacés. En septembre 2018, un accord de paix revitalisé a enfin pu être signé entre les principaux belligérants, à Addis Abeba en Éthiopie. Malgré cela, certains combats se poursuivent encore aujourd’hui, notamment dans la région de l’Équatoria-Central dans le sud du pays.
Pire, l’accord n’a pas mis un terme aux graves violations des droits de l’homme, notamment la violence sexuelle de masse, utilisée comme arme de guerre par les différents groupes armés. « La Commission d’enquête a encore fait état du viol de plus de 100 femmes et filles dans la région de Bentiu, en novembre dernier, donc après la signature de l’accord de paix », relate Nicolas Agostini.
Mettre fin à l’impunité
L’impunité agit souvent comme un facteur de résurgence du conflit. Une condamnation, elle, peut s’avérer au contraire comme un premier pas vers la réconciliation d’une société fracturée – du moins en théorie. D’où un chapitre de l’accord de paix signé en Éthiopie spécifiquement consacré à la question de la justice transitionnelle. Celle-ci comprend notamment la création d’une cour hybride, qui a pour mission de poursuivre les commandants soupçonnés de crimes de guerre, notamment sur la base des éléments de preuves réunis par la Commission d’enquête du CDH.
Or, les autorités sud-soudanaises, dont certains membres sont eux-mêmes soupçonnés de crimes et d’exactions, n’ont pas encore signé l’accord pour la mise en place de la cour hybride. Pour Nicolas Agostini, le fait que « les plus hauts responsables, y compris le président sud-soudanais, soient susceptibles d’être mis en examen et jugés par cette cour », explique cette stratégie de temporisation.
En conséquence, les chances que ce tribunal voit le jour prochainement semblent bien minces. « Je pense que c’est très improbable que le gouvernement mette sur pied un tribunal pour s’intenter lui-même des poursuites », observe Patryk I. Labuda, docteur en droit international à l’IHEID de Genève.
Une vision que conteste Sabino Tom Akonydit, membre de la délégation du Soudan du Sud au CDH, qui souligne la difficulté de mettre tout le monde autour de la même table: « le travail de la mise en service de la cour de justice hybride n’incombe pas au seul gouvernement, mais résulte aussi des blocages de l’opposition ».
Pour le diplomate sud-soudanais, il est indispensable d’œuvrer dans un premier temps à ce que les groupes de l’opposition rejoignent le processus de paix, afin qu’un nouveau gouvernement puisse être formé et que in fine, la cour hybride puisse être mise sur pied.
« L’idée que le gouvernement sud-soudanais puisse mettre sur pied une cour hybride est assez étrange, et peut suggérer un certain degré de naïveté de la part des acteurs internationaux ». Patryk I. Labuda
Quant à l’Union africaine (UA), elle serait le seul organe à pouvoir mettre sur pied la cour hybride unilatéralement, c’est à dire sans l’accord du gouvernement sud-soudanais. Or, une telle décision « n’irait pas sans poser une série de problèmes, tant sur le plan politique que juridique », admet Nicolas Agostini, qui ajoute que « l’UA écarte pour l’instant cette option, et préfère donner une chance à la paix ». A l’instar de l’ONU d’ailleurs, qui veut éviter de brusquer le gouvernement, par crainte de voir renaitre le conflit.
La sécurité, autre enjeu crucial
« Nous nous attelons au cantonnement des différentes troupes armées qui se sont affrontées », indique Sabino Tom Akonydit. Ce mécanisme, prévu dans un autre chapitre de l’accord de paix, est également essentiel à la pacification et doit à terme ouvrir la voie à la création d’une armée nationale. « Or, les groupes armés sont aujourd’hui encore dispersées sur le terrain, et ils ne sont pas désarmés », déplore Nicolas Agostini.
Si cette condition du cantonnement des troupes n’est pas remplie d’ici au mois de mai, date de l’échéance fixée dans l’accord de paix, alors ce dernier se retrouvera partiellement caduc. De quoi augmenter encore le danger de résurgence du conflit et de voir la population civile, déjà meurtrie par des années de guerre, entraînée dans une nouvelle vague de violences. « Les combats peuvent déjà reprendre à n’importe quel moment « , s’inquiète Nicolas Agostini.
Crédits de l’image mise en avant: Timothy McKulka/USAID