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Incohérence latino-américaine à l’ONU

Une vue partielle de la salle XX, salle des Droits de l'Homme dont le plafond a ete cree par l'artiste espagnol Miquel Barcelo.

Fin mars, au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, une résolution condamnant les sanctions unilatérales entre les pays a été adoptée. Pourtant certains des Etats l’ayant déposée soutiennent eux-mêmes de telles sanctions contre le Venezuela.

Cette année, pour la première fois, quatre pays, le Pérou, la Colombie, l’Equateur et le Chili, se sont désolidarisés de la résolution qui concerne les «mesures coécrives unilatérales entre les Etats». Des termes compliqués qu’Idriss Jazairy, le Rapporteur spécial travaillant sur la question, résume facilement en une phrase: «Cette résolution condamne les sanctions appliquées par un pays, directement envers un autre». En effet, depuis plusieurs années, ses rapports arrivent à la même conclusion: certaines de ces sanctions ne sont pas pensées pour être «intelligentes» car elle mettent en péril les droits humains dans les pays visés, «elles peuvent parfois s’apparenter à une guerre économique, à la différence que les civils, qui sont les plus touchés par ces mesures, ne sont pas protégés par le Droit Humanitaire International comme ils le seraient en temps de guerre». Pour le Rapporteur spécial, ces sanctions ne doivent donc être utilisées que lorsqu’elles sont la dernière possibilité pour éviter le recours à la force. Pourtant il constate encore aujourd’hui qu’environ «un quart de la population mondiale est touchée par de telles mesures».

Il n’est pas étonnant que des pays comme la Colombie ou le Pérou de désolidarise de cette résolution. En effet, comme d’autres pays du mouvement des non-alignés (NAM) présentant la résolution, la Colombie et le Pérou font également partie du Groupe de Lima, un organisme crée en 2017 pour régler la crise du Venezuela. Sachant que le Groupe soutient les sanctions mises en place par les Etats-Unis contre le Venezuela, cette distanciation semble être une preuve de cohérence de ces pays.

 

Le Chili, la Colombie, le Guatemala, le Honduras, le Panama et le Pérou font partie du groupe de Lima et du NAM

 

Pourtant, ces sanctions existent depuis plusieurs années sans avoir empêché les pays du Groupe de Lima de soutenir cette résolution. Certains d’entre eux ont également eux-mêmes exercés ce type de pressions. La Colombie avait, par exemple, refusé de fournir les vaccins contre la malaria ayant été commandés par le Venezuela lors de l’épidémie de 2017.

Ironique étant donné que la pénurie de vaccins vécue par le pays était elle-même aggravée par les mesures mises en place par les Etats-Unis, le Canada et l’Union Européenne.

Comble de l’ironie, cette année, le pays déposant la résolution au nom du mouvement était le Venezuela.

 

Incohérence ou instrumentalisation ?

Comment donc soutenir une résolution qu’on ne respecte pas dans les faits? Pour Ramón Muñoz Castro, directeur du Réseau International des Droits Humains, tout est une question de visibilité et de placement politique: «Pour la première fois, deux pays membres du Groupe de Lima se sont désolidarisés de la résolution, le Pérou et la Colombie, un troisième, le Chili, l’a fait après le vote. Ces deux premiers pays sont les plus visibles dans le Groupe. La Colombie a depuis longtemps pris la tête des discussions et le Pérou l’a représenté ici à l’ONU. Ils ne peuvent pas soutenir une résolution qui pourrait être utilisée pour attaquer les mesures qu’ils ont eux-mêmes mis en place».

Un risque exacerbé par l’augmentation récente de la médiatisation du Venezuela suite à l’auto-proclamation de Juan Guaidó comme président. Une présidence soutenue par le Groupe de Lima qui ne reconnait donc plus la légitimité du gouvernement actuel.

Pour le représentant de l’un des pays faisant partie du NAM et du Groupe de Lima voulant rester anonyme, la question est bien là: «Ce qui pose problème ce n’est pas la résolution en elle-même mais son instrumentalisation par le Venezuela qui considère que la soutenir équivaut à soutenir le gouvernement actuel». En effet, le gouvernement a acclamé l’acceptation de la résolution en la qualifiant de «victoire de la diplomatie».

Tweet de Jorge Arreaza, vice-président vénézuélien

 

Pour montrer leur rejet de l’autorité du gouvernement de Maduro, les membres de Groupe de Lima ont d’ailleurs décidé de mener une action symbolique au Conseil des droits de l’Homme en sortant de la salle à chaque prise de parole du Venezuela. Une volonté de se «faire entendre» mais sans communiquer. Certains membres du Groupe semblent en effet exaspérés et désespérés de la situation qui dure depuis plus de six ans.

Des réflexions bien loin de l’idée qu’on se fait de la défense des droit humains, qui transforment cette résolution, pourtant acceptée chaque année, en théâtre du jeu politique et de l’incohérence des gouvernements. Elle en perd de vue son but premier, pourtant simple: protéger les droits humains.

 

Image de titre: © UN Geneva

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