Posé, enjoué et optimiste, Yves Jeannotat, jeune agriculteur de 22 ans, travaille volontairement à contre-courant de l’agriculture moderne qui ne prône que l’investissement et la diversification. Portrait d’un terrien pour qui « indépendance », « respect » et « agriculture familiale » sont les maîtres mots.
Si le nom vous dit quelque chose, vous pensez peut-être à son grand-oncle et homonyme, journaliste et grand coureur à pied, d’ailleurs né dans la ferme familiale. Une ferme, « Chez Darosier », située sur un vaste finage en pente douce au cœur du Jura, dans le Clos du Doubs. « Le domaine se transmet en ligne directe depuis quatre générations. Et il était déjà dans la famille avant, mon arrière-grand-père l’ayant racheté à son oncle », précise Yves Jeannotat.
Il termine d’étendre la paille sous les vaches à notre arrivée, puis nous reçoit dans sa cuisine autour d’un café. Le soleil, bas en cette saison, inonde la pièce d’une clarté aveuglante typique d’un glacial temps de bise. Un peu stressé au départ, espérant « ne pas dire de connerie », il s’ouvre au final très facilement. « L’agriculture, c’est plus une vocation qu’un métier. »
L’agriculture, c’est plus une vocation qu’un métier.
Fils unique ayant grandi au rythme des travaux de la ferme, il s’imagine succéder à son père depuis tout petit. « J’ai quand même fait des stages dans d’autres domaines, par exemple la mécanique. » Mais cela ne fait que le conforter dans son choix, et, son CFC d’agriculteur en poche, il revient travailler avec son père sur le domaine familial en 2012.
L’exploitation tire l’essentiel de ses revenus de lait destiné à la production du fromage La Tête de Moine. « C’est le cas depuis 1995 », précise fièrement Yves Jeannotat. « On sait où notre lait va, et ça crée des emplois régionaux. C’est un plaisir de se lever tous les matins pour ça. »
Un métier très varié
Il apprécie avant tout le contact avec les animaux, particulièrement les vaches. « Je les lave par exemple tous les matins, c’est un petit truc particulier de l’exploitation. On prend bien une douche, pourquoi pas elles ? » Il insiste aussi sur la variété que peut offrir le travail d’agriculteur. Et on ne parle pas que des travaux des champs ou du soin du bétail.
Appréciant la mécanique, il passe beaucoup de temps à réparer et entretenir ses machines. Il exploite aussi les forêts domaniales, tant pour se chauffer que pour faire des planches lorsqu’il faut rénover ou agrandir. « J’adore bricoler, surtout avec le bois. C’est une passion qui me vient de mon grand-père maternel. C’est d’ailleurs lui qui a fait cette armoire », explique-t-il en désignant le buffet de la cuisine.
L’important, c’est le respect.
Même envers les machines.
On commence à le comprendre, Yves Jeannotat travaille avec une philosophie bien ancrée : être aussi indépendant que possible, réparer au lieu de remplacer, se focaliser sur la production de lait plutôt que de se diversifier et « faire tout mal », éviter un maximum de s’endetter, etc.
Beaucoup de ses confrères agriculteurs estiment que son mode de fonctionnement appartient au passé, mais c’est pour lui un choix de vie, influencé par son père. « Il y a eu des tensions avec mon père au début. Je voulais développer plus le domaine. Et puis on a chacun fait la part des choses, et maintenant ça se passe très bien ».
Un décès douloureux
Au moment où Fifi, la chienne de 11 ans, vient réclamer un peu d’affection, il évoque de lui-même le décès de sa mère, en 2012, au terme d’une longue maladie. « Ca a été un choc difficile à admettre. On sent qu’il manque un esprit féminin, mais on finit par s’y faire plus ou moins».
Il est donc maintenant seul avec son père sur le domaine. « C’est l’un des inconvénients du métier, la solitude. C’est parfois un peu dur, surtout le soir. Mais je ne suis quand même pas ermite », enchaîne-t-il, nous expliquant qu’être agriculteur n’empêche pas de sortir, de voir ses amis. Seulement, après « une nuit blanche à faire la noce à Delémont, il faut quand même fourrager et traire avant d’aller au lit », ajoute-t-il dans un rire éloquent.
Il y beaucoup de clichés sur les fermes isolées.
Puisqu’on parle de sorties, cap sur le sujet de la drague. Sans tabou, il nous explique que quand il sent un bon « feeling » avec une fille et qu’il aborde sa vie d’agriculteur, « ça jette parfois un froid. Il faudrait découvrir sur place, car il y beaucoup de clichés sur les fermes isolées. On peut pourtant facilement travailler en ville et habiter ici. En voiture, on n’est qu’à 15 minutes de Porrentruy et 20 de Delémont. » Selon lui, l’important pour une vie de couple ou de famille épanouie, c’est de séparer autant que possible l’activité agricole de la vie privée.
A l’époque, la transmission, c’était automatique,
comme une religion.
C’est ce moment que choisit son père, Hubert, pour rentrer avec les courses. Nous évoquons la question de la transmission, et, comme il reste silencieux, son fils le taquine : « Qu’est-ce que tu en penses, toi, en tant que patriarche ? »
D’abord songeur, Hubert Jeannotat répond lentement. « C’est ça le but de la vie en fait, si on peut retransmettre tout ce qu’on a fait… c’est un peu des racines, c’est difficile à expliquer ça ». Son fils renchérit : « à l’époque, la transmission, c’était automatique, comme une religion. Maintenant les jeunes ont beaucoup plus le choix. » Pour décrocher quelques mots plus personnels au discret sexagénaire, on lui demande s’il a le fils qu’il s’imaginait il y a 40 ans. Il répond avec un pudique « Oh oui » qui a tout d’un vrai compliment.