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“J’ai vu le début du génocide des Rohingyas”

Les crises humanitaires sont difficiles à relater car il faut du temps pour comprendre la situation sur place et comment celle-ci évolue. La journaliste Aela Callan et la photographe Hannah McKay ont couvert la crise des Rohingyas en Birmanie. Elles font un retour sur leurs expériences respectives.

Avant même que les intervenantes de la conférence “Reporting the Rohingyas crisis” n’aient commencé à parler, le décor est déjà planté. Sur l’écran du vidéoprojecteur sont projetées les photos bouleversantes de la photographe de Reuters, Hannah McKay. Les regards d’enfants en détresse nous happent. Couvrir la crise des Rohingyas dans un camp de réfugiés sur la côte sud-est du Bangladesh l’année dernière a été sa première mission à l’étranger, trois mois après être entrée à Reuters. “Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. J’étais naïve. Il faut penser à sa sécurité mais, en tant que photographe, je ne pensais qu’à avoir les meilleures photos”, raconte-t-elle.

Bien avant elle, en 2012, Aela Callan a été une des premières journalistes étrangères à obtenir un visa pour vivre en Birmanie. “Je ne pouvais pas utiliser mon vrai nom. J’ai dû travailler en cachette pour Al Jazeera. Avec l’arrivée des militaires au pouvoir en 2010, le droit des médias et la liberté d’expression ont de plus en plus été réduits à néant.” Dès 2013, “j’ai vu le début du génocide de la minorité musulmane par des moines bouddhistes extrémistes”. Al Jazeera refusait que ses journalistes emploient le terme “radical” pour désigner ces extrémistes. L’année dernière, Aela Callan a produit la vidéo en réalité virtuelle à 360° “I am Rohingya” présentée ci-dessous:

I Am Rohingya from Contrast VR on Vimeo.

Une situation qui semble inextricable

Depuis 2017, les médias relatent en masse la crise des Rohingyas, une minorité musulmane qui vit dans un pays à majorité bouddhiste, la Birmanie. Pour beaucoup de personnes, le problème en Birmanie est récent. En réalité, les persécutions à caractère religieux remontent à quelques années déjà.

En 2016, Aung San Suu Kyi, détentrice du Prix Nobel de la paix et l’actuelle dirigeante du pays, a été critiquée pour sa non-intervention pour cesser les attaques contre les Rohingyas. Cependant, l’armée au pouvoir depuis 2010 contrôle encore les ministères de la Défense, des Frontières et de l’Intérieur. Il incombe donc à l’armée birmane la responsabilité de la crise de la minorité musulmane. Actuellement, plus de 650’000 réfugiés Rohingyas se trouvent au Bangladesh dans des camps, notamment dans celui de Cox’s Bazar, sur la côte sud-est du pays.

Facebook, entre alternative aux médias traditionnels et désinformation

Dans un pays où les médias ont été de plus en plus contrôlés: “tout le monde s’est donc rué sur Facebook, n’importe qui pouvait publier. Le problème était que les gens pensaient que tout ce qui était sur Facebook était vrai”, raconte Aela Callan, présente sur place au moment des faits. Elle explique qu’en 2012, des hommes musulmans ont été accusés de violer une femme bouddhiste. La rumeur s’est rapidement propagée sur Facebook, et ce jusqu’à l’autre bout du pays. C’est à partir de ce moment que des hommes musulmans ont été pointés du doigt à cause de leur religion. De fil en aiguille, cela mène à une situation où, bien qu’il y ait eu des attaques envers la police birmane, la réponse a été d’une violence inouïe qui n’était pas justifiée. “Facebook n’a pas créé le problème mais a servi de plateforme pour le répandre”, conclut-elle.

Aela Callan reconnaît qu’il est parfois impossible de vérifier ce que les personnes lui racontent. Surtout que, “pour les victimes de traumatismes, il est important qu’elles sentent que les journalistes croient en la véracité de leur histoire.” Cependant, en tant que journaliste, elle rappelle qu’il est important de vérifier et recouper les informations.

Julie Gaudio et Perrine Millet

Illustration: Hannay McKay/Reuters sur Twitter

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