Dans les sous-sols de Sainte-Ursanne

Comment stocker les déchets radioactifs ? Depuis plus 25 ans, le laboratoire international de Mont-Terri cherche des réponses. Reportage d’une matinée en immersion dans les galeries souterraines jurassiennes.

Des stries délicates, un relief discret. Au milieu d’instruments de mesures, de câbles électriques et de panneaux « attention, ne pas toucher », une ammonite fossilisée se dessine dans le gris anthracite de l’argile à opalinus. Étrange découverte. Vieille de 174 millions d’années, cette roche possède des propriétés idéales pour le stockage de déchets radioactifs. C’est ici, à Sainte-Ursanne, que le laboratoire de Mont-Terri cherche des réponses.

Des lumières froides éclairent les 1.2 kilomètres de couloirs souterrains. Il faut s’y retrouver. A gauche, à droite, aucun panneau d’indication pour se repérer. Les galeries sont un vrai labyrinthe pour celui qui n’y travaille pas. Vêtus d’ensembles jaune fluo et de casques bleu néon, c’est sous plus de 300 mètres de terre que des scientifiques du monde entier viennent exploiter ce lieu. Une chance, car normalement cette roche est à plus de 700 mètres de profond.

Trouver comment stocker le CO2 ou les déchets radioactifs, c’est l’objectif du laboratoire. D’un ton assuré, le responsable du projet Christophe Nussbaum lance « Les enjeux ici, sont des enjeux de société ». C’est une réalité. L’annonce de la pénurie d’électricité d’ici 2025 a relancé le débat sur le nucléaire. Le dossier est rouvert.

Les enjeux ici, sont des enjeux de société.

Christophe Nussbaum, directeur du projet Mont-Terri

De l’extérieur, rien ne laisse paraître que de tels enjeux sociétaux se jouent. Le lieu semble perdu et détaché du monde. Malgré le ciel gris et le brouillard de novembre, Sainte-Ursanne séduit. Les méandres des petites ruelles médiévales sont typiques d’un lieu touristique. Une fontaine, une collégiale, un bistrot. Son viaduc surplombe le Doubs, rivière mythique du Jura. Aucun signe laisse imaginer que dans le Mont-Terri des machines grondent, analysent et percent cette roche pour tester le stockage de déchets radioactifs en couches géologiques profondes.

Pourtant, le laboratoire est connu dans le coin. Noëlie, jeune habitante de Sainte-Ursanne, l’a souvent visité. Comme tous les enfants de la région, Mont-Terri était une sortie de classe. Accoudée à une barrière, la jeune femme reste sceptique face au lieu. « Que l’on fasse des tests sur les roches ne pose aucun problème. Mais s’ils avaient eu l’idée de stocker des déchets nucléaires ici, cela n’aurait pas été bien reçu par la population. »

Romain Nicol, devant la maquette grandeur nature, montre les 3 couches de protection : l’acier, la bentonite et l’argile à Opalinus. crédits photos : © Mathilde Jaccard, 2021

Pour en découvrir davantage, il faut remonter vers la gare pour accéder au centre de visite. C’est un bâtiment récent qui camoufle une ancienne usine à chaux devenue temporairement un lieu de fête. Un trou béant saute soudainement aux yeux. C’est l’entrée.

A l’intérieur du centre de visiteurs, dans une salle de conférence, le responsable du projet apporte quelques explications. Christophe Nussbaum s’enthousiasme devant des carottes géologiques de calcaire, de sel, de granit et d’argile à Opalinus. Comme certains de ses voisins, la Suisse possède dans son sous-sol de l’argile. Elle est imperméable et s’auto-cicatrise : des vertus indispensables pour stocker les déchets radioactifs et éviter toute fuite. Malgré la sortie du nucléaire prévue en 2034, « les déchets sont là, c’est une réalité » affirme le responsable de projet. Il laisse échapper un sentiment d’injustice face à cette évidence. « Ceux qui ont profité du nucléaire n’auront pas les déchets sur les bras, ce sont les générations d’après. »

Les déchets sont là, c’est une réalité.

Christophe Nussbaum

Après de nombreuses diapositives d’une projection théorique, le guide des visites Romain Nicol rejoint la salle. « C’est l’heure de la visite ». Avant de partir, Christophe Nussbaum insiste : « nos recherches doivent servir à trouver une solution. On n’est ni pour, ni contre le nucléaire. » Il faut ensuite s’harnacher pour entrer dans le laboratoire. Casque vissé sur la tête, gilet de sécurité, émetteur de localisation autour du cou. C’est parti.

Quelques virages puis la voiture s’arrête. Une gigantesque porte d’acier se dresse. C’est le premier passage de sécurité. Plongés dans le noir, les lampadaires s’allument soudainement et laissent apparaître un tunnel creusé grossièrement. Au loin apparaît une lumière rouge. C’est le seul feu de signalisation du canton du Jura. Romain Nicol en rigole. C’est vert. Arrivé à la hauteur du laboratoire, il faut laisser la voiture ouverte et les clés à l’intérieur, question de sécurité. Les premiers pas dans les galeries sont oppressants. Comme un moyen de rappeler la profondeur du lieu, des fenêtres laissent apparaître les différentes couches géologiques.

C’est dans la niche FE-A que se déroule l’expérience principale du laboratoire : des containers vides, sans déchets radioactifs, simulant leurs différents paramètres, notamment la chaleur. crédits photos : © Mathilde Jaccard, 2021

Le souffle se fait court. L’odeur de béton est omniprésente. La poussière pique les yeux. Bienvenue à Mont-Terri. La visite navigue dans les galeries à la découverte de chaque niche qui accueille des expériences. Dans l’une d’elle, Romain Nicol salue Alba, une scientifique venue étudier la stabilité de l’argile. Il n’est pas rare de croiser au coin d’une galerie des ingénieurs.

« Hello ». Ce sont des américains venus expérimenter le stockage de CO2. Il faut contourner les instruments de mesures, les trous de forage et des outils. Le guide l’indique, ici c’est du « do it yourself ». Avant d’arriver au modèle grandeur nature, une maquette de déchets radioactifs sous des projecteurs saute aux yeux. Impressionnant. Le guide vulgarise le propos et montre les différentes barrières de protection pour éviter tout incident lorsqu’ils seront sous terre. De l’acier, de la bentonite et la fameuse argile à Opalinus. Dans la niche FE-A, c’est à l’échelle 1 : 1 que se déroule l’expérience. Des containers simulant la radioactivité sont enfouis depuis 6 ans. Romain Nicol allume les conteurs : la température indiquée est de 150°C.

1h45 se sont écoulées. L’ammonite semble finalement plus actuelle et réelle que toutes ces machines vertigineuses. Le mot d’ordre semble connu : sécurité. Tout est mesuré. Rien n’est laissé au hasard.

Sur le retour, Romain Nicol partage son sentiment face à l’avenir. Les déchets hautement radioactifs ne seront pas stockés avant 2060. Et pour l’instant, il n’existe pas de moyen de abaisser la durée de vie de leur radioactivité. Comme pour attester de l’utilité de Mont-Terri, il souligne qu’ « il n’est donc pas irrationnel de travailler sur le stockage ». Après avoir parcouru les galeries de Mont-Terri, le retour vers le brouillard et le ciel gris de Sainte-Ursanne semble finalement apaisant.

Mathilde Jaccard

crédits photos : © Mathilde Jaccard, 2021

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse », dont l’enseignement est dispensé en collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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