Désormais, des applications telles que Yuka scannent nos aliments afin d’évaluer leur qualité nutritive. Elles prônent le manger sain mais sans réellement se soucier des enjeux sociétaux en jeu.
En se promenant dans les rayons des supermarchés, un phénomène est de plus en plus visible. Téléphone à la main, des clients scannent les codes-barres des emballages alimentaires. Fixant leur écran, les acheteurs font un choix en moins de dix secondes. Ils reposent le produit ou bien le jettent dans leur panier. A l’ère du digital, la pratique semble se généraliser. Une application montre à l’aide d’indicateurs et d’une pastille colorée si le produit est dangereux pour la santé. Bien que ces scanners soient créés a priori dans une démarche altruiste, des conséquences sociales à son utilisation peuvent exister.
Yuka, un bulldozer français
L’utilisation de ces scanners nutritifs est en pleine croissance. Yuka est l’application leader du marché en France. Elle a été créée chez nos voisins mais s’est vite déployée à l’international. Elle est actuellement disponible dans onze pays, dont la Suisse. En novembre dernier, encore 20 millions d’utilisateurs s’en étaient servi. Un vrai succès pour cette start-up qui a vu le jour il y a tout juste 4 ans. Concurrencée par d’autres applications telles que Kwalito et Open Food Facts, Yuka reste néanmoins une référence pour de nombreux utilisateurs.
Normalisatrice et révélatrice d’inégalités
Végétarisme, véganisme, régime sans gluten, sans lactose : les pratiques alimentaires restrictives sont de plus en plus fréquentes et les scanners nutritifs participent à cet élan sociétal. Ces applications limitent in fine le consommateur dans ses choix alimentaires avec une volonté de manger sain. Cependant, passer d’un régime sans restriction à un avec n’est pas offert à tout le monde. En effet, selon une recherche scientifique suisse, trois dimensions sont prise en compte lors d’une transition.
Yuka pour toutes et tous ? Pas vraiment. Les individus entament leur transition alimentaire de manière inégale selon les trois dimensions présentées ci-dessus. Mais les inégalités ne s’arrêtent pas là. Dana Mahr, chercheuse à l’Université de Genève, a analysé des applications santé et leurs impacts sociologiques, politiques et médicaux.
En certifiant ce qui est le bon et ce qui ne l’est pas, ces apps produisent une norme nutritionnelle. Quand celle-ci n’est pas respectée, une stigmatisation peut exister. Ces normes ont une capacité destructrice puissante sur la variété infinie de cultures alimentaires.
L’uniformisation à grande échelle peut mener à la mort de patrimoines alimentaires ne se conformant pas aux normes. Les différences culturelles ne sont pas les seules distinctions en danger. Les personnes ayant un niveau socio-économique faible n’ont pas les moyens financiers pour se conformer à la norme. Ces applications stigmatisent in fine une partie de la population. Dominique, père de famille de 56 ans, utilise régulièrement Yuka mais ne laisse pas le programme dicter son alimentation.
Manger sain? Oui. Mais selon quels codes? Imposés par qui? Et est-ce réellement accessibles à tous? Yuka et ses concurrentes sont le signe d’une société qui souhaite contrôler son alimentation dans les détails. Mais cela ne se fait pas sans grandes conséquences à large échelle. Ces nouvelles start-ups introduisent une certaine norme discutée et discutable. Mais les applications ne sont plus toutes seules à le faire. Certaines marques ont déjà pris les rennes et n’attendent plus d’être notées par Yuka. En avril 2020, Nestlé a commencé indiquer un nutri-score sur ses emballages. Ainsi, plus besoin d’être scannés, les produits de la marque seront déjà notés… par eux-mêmes.
Par Mateus Carvalho
Ce travail journalistique a été réalisé dans le cadre du Master en journalisme et communication (MAJ)
Crédits photo: yuka.io