La narration hybride, un journalisme qui allie reportage sur le terrain et utilisation des réseaux sociaux, continue son avancée. Cette nouvelle forme de storytelling se répand peu à peu dans toutes les rédactions. Exemple avec « NowThis« , le pure player américain qui manie avec brio cette association.
C’est indéniable, le numérique a pris une place très importante dans le journalisme d’aujourd’hui. Avec l’arrivée des géants du web tels que Facebook ou Google, le journaliste doit désormais savoir manier autant la plume que les touches d’un clavier. De nouvelles formes de narration ont ainsi pu se développer, notamment la narration hybride. Celle-ci consiste à envoyer des journalistes en reportage sur le terrain, tout en se servant des réseaux sociaux pour trouver, créer et publier du contenu d’information. Le média « NowThis », tout droit issu des Etats-Unis, a su profiter de ce renouvellement de la profession.
Une forme de journalisme à part
En 2011, à Saint-Louis, le policier Jason Stockley abattait un jeune afro-américain lors d’un contrôle. En septembre dernier, l’homme est acquitté malgré de lourds chefs d’accusation. Dans cette petite ville du Missouri, des manifestations violentes ont éclaté pour dénoncer un racisme institutionnel. « NowThis », ayant eu connaissance du jugement en avance, est le seul média national à être sur les lieux dès le début des évènements. « Tout est allé très vite, explique son éditeur Andy Carvin. Nous avons entendu parler de ce cas le mercredi, le lendemain nous avions déjà 10 journalistes de terrain et toute une équipe de gestion prêts. » Journalisme vif donc, qui demande une organisation bien rodée.
Depuis la rédaction à New York, Andy Carvin supervise chaque interview, live, et action de ses journalistes en déplacement. Défini comme « The Eyes in the Sky », il suit en permanence les tweets de la ville de Saint-Louis afin de guider les équipes sur place. Deux objectifs: Trouver de l’information, et ne pas se faire arrêter. « Nous étions immergés parmi les manifestants, nous n’avions aucun badge de presse donc nous n’avions rien pour nous prémunir d’une rafle policière », raconte Kim Bui, éditrice de « NowThis ». Une prise de décision rapide est alors primordiale, et l’éditeur est constamment sollicité.
Third day of STL protests. https://t.co/CfKdhvaXt9
— P. Kim Bui (@kimbui) 17 septembre 2017
Une technique imparable
Parfois, la tension sur le terrain est maximale. Les équipes de deux, voire trois personnes sur place doivent alors réagir vite. Pour cela, tout est déjà prévu. « NowThis » étant un média de Breaking News, le format utilisé est celui de la vidéo. Périscope pour les directs imprévus, afin de ressentir la tension ambiante, Facebook Live pour les sujets attendus. « Au final, on a pu tout essayer! s’enthousiasme Kim Bui. » En ce qui concerne la communication, point clé de ce type de narration, les journalistes et la rédaction communiquent par le biais de l’application Slack pour les discussions « à froid », et sur WhatsApp pour les discussions pressantes.
Concernant les rôles, la rédaction s’occupe de la curation, de guider les journalistes qui envoient leur localisation depuis WhatsApp, mais également de les conseiller en suivant leurs reportages en direct. « Au final, nous n’avons qu’à suivre les instructions données par nos collègues, précise l’éditrice Kim Bui, on nous dit où aller, quoi faire et comment le faire. » Une collaboration plus qu’indispensable entre les lieux, afin de partager l’événement au plus près avec le public.
Une narration qui a des limites
Mais l’association journalisme de terrain et réseaux sociaux ne va pas encore tout à fait de soi. Sans communication entre les deux parties, rien n’est possible. A cela s’ajoute les soucis techniques: « nous avons eu de nombreux crashs de serveurs durant cette expérience », constate Andy Carvin. Jongler entre vidéos de mauvaise et haute résolution et gérer le stress, sont toutes deux difficultés non négligeables. Enfin, la question de la gestion des commentaires haineux, liés aux réseaux sociaux fait à son tour défaut à la narration hybride. De quoi en décourager plus d’un…
3 conseils à suivre pour réussir une narration hybride
- Se préparer au maximum en amont Avoir plusieurs batteries dans son sac, une bouteille d’eau, et connaître au maximum son sujet.
- Les équipes sur le terrain doivent être maniables Parler tous les jours à tout le monde sur place. Chaque personne doit avoir un rôle attitré et être prêt à produire des vidéos type live et longs formats dès qu’on le lui demande.
- Avoir une bonne organisation est nécessaire Elle est indispensable pour pouvoir gérer les imprévus sur le terrain. Toute l’énergie de la rédaction doit se concentrer pour aider les journaliste sur place.
Interview des deux éditeurs du pureplayer américain « NowThis »
1. Pouvez-vous résumer ce dont vous avez parlé durant votre présentation?
Kim Bui : « Je pense que couvrir un évènement en temps réel est une nécessité et un moyen très intéressant pour être sûr que tu fais quelque chose qui perdurera dans le temps. »
Andy Carvin : « Nous nous sommes servis de cette manifestation à Saint-Louis pour tester et explorer comment on peut produire des vidéos en couverture en temps réel. »
2. Pourquoi pensez-vous qu’il est important que journalisme de terrain et réseaux sociaux unissent leurs forces?
Kim Bui : « Je pense que le meilleur reporter de terrain doit utiliser les réseaux sociaux pour toucher plus rapidement son audience, car les gens sont vraiment intéressés par ce qu’il se passe en direct. »
Andy Carvin : « Souvent les rédactions séparent clairement les contenus reportages des réseaux sociaux, mais ils ratent des opportunités. Ils devraient vraiment travailler ensemble, au même moment, combiner les informations obtenues. »
3. Quelle est la plus grande difficulté de ce mix terrain et réseaux sociaux?
Kim Bui : « L’organisation, je pense que c’est le plus dur. Il est important d’avoir une bonne communication entre ce qui est dit sur les réseaux sociaux et ce qu’on voit sur le terrain pour éviter les discordances. Parfois, c’est difficile de prendre du recul, mais c’est un travail obligatoire ».
Andy Carvin : « Manager est vraiment difficile, surtout dans le cas d’une manifestation. Si tu as des journalistes sur le terrain, leur sécurité peut devenir prioritaire, et en même temps tu dois t’occuper des réseaux sociaux, donc c’est un vrai challenge. »
4. Cette narration hybride est-elle l’avenir du journalisme?
Kim Bui : « Aujourd’hui, on doit essayer des choses différentes, être ouvert. Après tout, on ne sait jamais ce que pourrait devenir le journalisme de demain. »
Andy Carvin : « On arrivera un jour où dans les newsrooms, on ne fera plus la différence entre le « social journalism » et le journalisme de terrain, car ils sont une seule et même chose. »