« Je suis bien plus qu’un porte-clés »

Flora Barbieri et sa chienne Ghyna sur un rocher au bord du lac de Neuchâtel
Flora Barbieri et sa chienne Ghyna lors d'une promenade au bord du lac de Neuchâtel. (Photo: Idan Matary)

Agente de détention depuis sept ans à l’Établissement des Exécutions des Peines de Bellevue (NE), Flora Barbieri revient sur son parcours et sur les défis d’un métier souvent mal compris, où l’humain et l’accompagnement des détenus priment sur les clichés véhiculés par la télévision. Portrait de son quotidien derrière les barreaux.

« Non! Non! Ghyna, arrête! Viens ici, assis! Assis, je te dis! ». D’un ton ferme, Flora Barbieri rappelle à sa chienne d’arrêter de la déranger lors de l’interview. « Elle n’est pas méchante, elle est juste contente d’avoir de la compagnie », s’excuse-t-elle avec un sourire. Dans son appartement sur le littoral neuchâtelois, l’agente de détention de 33 ans raconte comment elle s’est lancée dans ce métier peu commun.

Diplômée d’un CFC de gestionnaire de commerce, Flora n’a pas toujours eu la vocation de travailler dans un établissement pénitentiaire. « Après mon apprentissage chez Swisscom dans le Jura, j’ai voulu me rapprocher de la maison. J’ai donc été engagée dans une petite entreprise de la région, mais ça s’est rapidement terminé et j’ai fini au chômage », explique-t-elle. En recherche d’emploi, elle tombe par hasard sur une annonce qui l’interpelle: une formation d’agente de détention. Après quelques recherches sur le métier, elle décide de postuler « un peu à l’aveuglette » et sept ans plus tard, elle est toujours là.

« Je ne suis pas là pour les juger, ils l’ont déjà été. »

Flora Barbieri

De sécurité élevée, l’Établissement des Exécutions des Peines de Bellevue (NE) peut accueillir une soixantaine de détenus ; la plupart ont écopé de longues peines de privation de liberté. Les questions récurrentes de l’entourage de Flora tournent souvent autour des raisons pour lesquelles les détenus y sont incarcérés. « À moins d’avoir une circonstance particulière ou une réaction disproportionnée d’un détenu, je préfère ne pas savoir pourquoi ils sont là. Je n’ai pas envie d’être biaisée par le crime qu’ils auraient pu commettre, je ne suis pas là pour les juger, ils l’ont déjà été. »

Un travail social

« Contrairement aux stéréotypes véhiculés par des séries comme Prison Break, mon travail en prison est loin d’être uniquement sécuritaire. Il implique une dimension sociale et humaine essentielle », insiste Flora lorsqu’elle est interrogée sur les représentations de son métier dans l’industrie cinématographique. « Je suis bien plus qu’un porte-clés », s’exclame-t-elle avec véhémence. « Nous accompagnons les détenus dans leur quotidien, les emmenant au service médical, dans les ateliers où ils doivent travailler et globalement, on les observe et on discute avec eux toute la journée », précise-t-elle, en ajoutant que « pour beaucoup d’entre eux, on est leur unique lien avec l’extérieur, ils n’ont pas forcément de famille ou d’amis ici. »

« J’ai aussi un lien avec beaucoup de prisonniers qui adorent le foot. »

Flora Barbieri

Flora côtoie des détenus qui, pour certains, sont présents depuis ses débuts dans la prison. Mis à part son prénom, ils connaissent également un de ses hobbies en particulier: « Pour une interview dans le journal de l’établissement, j’ai dévoilé ma passion pour le foot. C’est très cool parce que, maintenant, j’ai aussi un lien avec beaucoup de prisonniers qui adorent le foot [rires] ». Bien qu’extrêmement discrète sur le reste de ses informations personnelles, elle n’a pas peur, en soi, de croiser à l’extérieur d’anciens détenus: « C’est toujours un moment agréable, on discute vite fait et ensuite, je rentre chez moi, contente. » Ces instants sont d’autant plus précieux pour elle car l’une des plus grandes difficultés de son métier réside dans l’impossibilité de connaître « l’évolution des personnes à leur sortie de prison et de savoir si notre travail de réinsertion a porté ses fruits ».

Un métier qui s’ouvre aux femmes

« Quand j’ai commencé, j’étais la seule femme. Maintenant, nous sommes sept », déclare Flora avec une certaine fierté, tout en reconnaissant l’importance du soutien de son entourage professionnel. « J’ai eu la chance énorme d’avoir des collègues hommes qui m’ont toujours soutenue dans les décisions que je prenais avec les détenus », ajoute-t-elle, considérant que l’évolution de la société a bien changé l’image figée d’un métier composé de « Robocops » et de « gros bras ». Toutefois, elle nuance: « Je ne dis pas qu’il faudrait travailler uniquement avec des femmes, d’autant plus que tous nos détenus à Bellevue sont des hommes. Cependant, la présence de femmes dans l’équipe apporte un bon équilibre. »

Se projetant au sein de l’établissement, Flora Barbieri souhaiterait accéder à un poste supérieur dans le futur, témoignant de sa vocation, découverte « à l’aveuglette » il y a sept ans. Mais pour l’instant, l’heure de la promenade de Ghyna a sonné.

Par Idan Matary
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse I », dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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