Éleveur de moutons et passionné de loup

Fabrice Monnet, veste camouflage et gants orange, guide le groupe à la recherche du loup. Crédits : Mehdi El Ansari

Alors que le Conseil fédéral s’est prononcé pour autoriser les tirs préventifs du loup à compter du 1er décembre, des éleveurs plaident plutôt pour une cohabitation avec le prédateur. Reportage dans le Jura vaudois, entre protection des troupeaux et voyage en territoire lupin.

Massif du Jura vaudois, 9h du matin. Nous retrouvons Fabrice Monnet, paysagiste, éleveur de moutons et président de l’association « Defend the Wolf ». Attablés dans un café près du Mont-Tendre, la discussion porte sur le loup. « Les tirs ne vont rien corriger, au contraire », soupire-t-il. L’actualité lupine est sur toutes les lèvres. Dans la région, les amoureux de l’animal protestent contre l’ordonnance Rösti autorisant les tir préventifs du loup depuis le 1er décembre.

Le fils de Fabrice écoute la discussion. Il glisse un « ça, c’est vrai ! » quand son père raconte qu’on le traite d’illuminé, une « diabolisation » qu’il regrette. Des anecdotes avec l’animal, il en a mille. Comme sa première rencontre avec lui en 2021 pendant sa grève de la faim pour annuler une autorisation de tir. Ou sa récente aventure en France pour récupérer trois bergers d’Anatolie. Le but de ces chiens : repousser d’éventuelles attaques contre son troupeau.

Protéger ses bêtes

Pour Fabrice Monnet, une protection adéquate est le seul remède contre les prédations : « Si on a laissé sa maison ouverte et qu’on se fait cambrioler, il ne faut pas venir se plaindre. Avec le loup, c’est pareil. ». Après deux heures de discussion et deux cafés, son pick-up rouge fraichement rénové nous amène devant sa parcelle de terrain, près de la commune de Croy (VD). Tout autour de l’espace d’un hectare, se dresse une clôture de protection électrifiée, installée à ses frais. Ses filets de pâturage quadrillés empêchent le loup de passer sous le dispositif. « L’important, c’est de contrôler sa barrière au quotidien », explique-t-il. Il déplore aussi le manque d’action de l’État: « Tant que la Suisse n’inscrira pas dans la loi qu’il faut protéger ses élevages, ça continuera comme ça, on est censé protéger nos bêtes ! ». C’est le but du programme « Sentinelle » qu’il essaye de monter via son association: conseiller les éleveurs sur les protections à mettre en place.

Actuellement, les éleveurs victimes du loup reçoivent une indemnisation financière correspondant au prix au poids de chaque animal mort s’il avait été vendu à l’abattage. Le degré de protection des animaux n’est pas pris en compte dans le calcul de l’indemnisation. Pour Fabrice, « les gens ne font pas d’efforts, bizarrement c’est toujours les même personnes qui sont victimes du loup chaque année. C’est un business… ». 

On est censé protéger nos bêtes !

Fabrice Monnet

Une passion qui fait grincer des dents

Il est maintenant 16h. L’heure de pister le loup. Pour cette mission, deux membres de son collectif rappliquent. Loïc*, lui aussi éleveur dans le Jura vaudois, et Lola*, qui a fait le trajet depuis Vevey. Elle espère voir l’animal pour la première fois. Trois jeunes membres de la famille de notre hôte nous accompagnent également. Sur le trajet, Fabrice et ses pairs racontent les tentatives d’intimidations subies par des gardes-faune lors d’une sortie récente. Ils soupçonnent certains membres de la police d’être de mèche avec les paysans anti-loup, après qu’un membre de l’association a dû se présenter au poste de police pour être questionné.

À peine entrés en « zone loup », on aperçoit une Subaru grise garée sur le bas-côté. L’atmosphère se tend. Ce sont peut-être des gardes-faune en voiture banalisée. Deux minutes plus tôt, nous passions devant un panneau d’interdiction de passage, « au pire, on aura une amende », plaisantait alors le conducteur. Mais la vigilance est de mise, mieux vaut ne pas les croiser. Des panneaux d’interdiction de circulation se sont multipliés ces derniers jours dans la zone, « c’est pour préparer l’abattage des loups », redoute Fabrice Monnet.

Loup y es-tu ?

Nous voici garés quelques kilomètres plus loin. L’équipe se décide rapidement sur le chemin à suivre. Fabrice marche lentement et scrute attentivement le sol. Très vite, il identifie des traces de chevreuil au sol : « c’est bon signe, se réjouit-il, le loup aussi repère ces choses et les suit pour trouver à manger ». En plein dans le mille : 200 mètres plus loin, une crotte de louveteau, puis une deuxième à deux pas. « C’est tout frais », murmure l’amateur. Il est dans son élément. Son visage se durcit et consigne est donnée de nous faire discrets. Après trente minutes de recherches c’est la récompense : des traces de pas de l’animal.

Trace du mâle alpha de la meute du Mont-Tendre. Crédits : Mehdi El Ansari

« C’est une trace du mâle alpha, s’extasie Fabrice, il est tout près, on le sent. C’est magique… ça fait du bien d’être là ! ». Très vite, il découvre deux autres traces. L’excitation est palpable, chaque découverte est un prétexte pour Fabrice de partager ses anecdotes.

Puis, la douche froide: le brouillard commence à voiler le paysage. Impossible de continuer dans ces conditions, question de sécurité. Sur le chemin du retour, on distingue une lumière rouge sur l’autre versant de la colline, « surement les gardes-faune », d’après Fabrice. Amusé, il regarde ses proches. Ni une, ni deux, les voilà tous en meute. Dans le silence du sauvage, leurs hurlements de loup retentissent à l’unisson. Symbole d’un face-à-face tendu entre défenseurs du loup et gardes-faune cantonaux qui dure et menace de s’intensifier dans les semaines à venir.

*Prénoms d’emprunts 

Mehdi El Ansari
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours « Atelier presse », dont l’enseignement est dispensé collaboration avec le CFJM, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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