Voici comment Servette Chênois fait face à l’épidémie de déchirures de ligaments croisés

Plus de 300 footballeuses des premières divisions ont subi une blessure aux ligaments croisés dans le monde, depuis 2022. Une «épidémie» qui inquiète l’UEFA et à laquelle Servette Chênois cherche à s’adapter.

«Tu vois tout noir pendant un moment. À passé trente ans, je ne savais pas si j’arriverais à me remettre de cette blessure». Paula Serrano n’oubliera jamais le jour où son genou a cédé, en octobre 2021. Une rupture du ligament croisé antérieur que la milieu de terrain du Servette Chênois est loin d’être la seule à avoir vécu dans le milieu. Selon le compte X ACL Women Football Club qui souhaite «sensibiliser» le grand public sur l’impact de cette problématique chez les footballeuses, 306 joueuses des premières divisions du monde se seraient blessées depuis janvier 2022, dont 54 rien que depuis le début de cette année.

Un chiffre qui alarme l’Union des associations européennes de football (UEFA). La fédération a d’ailleurs lancé, en décembre dernier, une «nouvelle initiative centrée sur la sensibilisation et la prévention des lésions du ligament croisé antérieur». Son but: comprendre pourquoi les footballeuses sont «six plus touchées» par cette blessure que leurs pairs masculins, comme l’indique Hélène Maystre, collaboratrice de recherche scientifique à l’Office fédéral du sport.

Deux pistes explicatives
Spécialisée dans la physiologie du sport d’élite, Hélène Maystre voit passer régulièrement des blessures aux ligaments croisés antérieurs dans les équipes nationales de foot. La fréquence de cette blessure chez les femmes s’explique selon elle de deux manières. «La première raison est anatomique : les femmes ont un bassin un peu plus large en moyenne, ce qui fait qu’elles ont un angle plus fort sur le genou. On parle parfois de ‘jambes en x’, détaille la spécialiste. Mais ce n’est pas un calcul mathématique, on ne peut pas prédire les risques uniquement par ça.» 
Quant à la deuxième raison, elle serait structurelle. «Le football féminin se développe vite, il faut que la structure autour suive pour que la joueuse supporte le développement et l’augmentation de l’intensité des matchs. L’idéal, c’est un accompagnement individuel adapté à chacune, ce qui n’est pas toujours possible.» 
Une blessure aux ligaments croisés n’est en tout cas pas à prendre à la légère.«Ils peuvent être rompus complètement, partiellement, ou juste distendus. Ces ligaments sont responsables de la stabilité du genou, explique-t-elle.. La convalescence d’une telle blessure peut durer 300 jours, elle éloigne donc les athlètes du terrain un long moment.» Pas de solution miracle pour l’experte en physiologie : «Il faut se concentrer sur sa joueuse et l’aider dans son individualité».

La blessure de Paula Serrano remonte au premier match de la Ligue des champions, il y a deux ans et demi. Les Servettiennes font face à la Juventus. «C’était un sprint assez agressif. Il y a eu un duel, on m’a déséquilibrée. Mon genou est rentré, puis sorti», se remémore l’Espagnole. Les premières semaines, après sa blessure et avant de passer sur le billard, ont été les plus dures: «J’avais des doutes sur la suite. Heureusement, l’opération a permis un déclic.»

Réhabilitation

Malena Ortiz, numéro 10 de l’équipe genevoise, revient également d’une rupture des croisés. La deuxième en trois ans pour l’Espagnole de 26 ans qui a joué au Real Madrid. Sur la même jambe qui plus est. Un an et demi après sa blessure survenue pendant un match amical, Malena est formelle: elle a récupéré à 100%, si ce n’est plus.

«C’est clair que c’est pas évident de se retrouver seule pendant des mois, mais au moins je savais à quoi m’attendre», confie l’athlète, avant d’ajouter: «Je n’ai pas eu peur cette fois. Je l’ai vraiment vu comme une opportunité de me rendre plus forte mentalement et physiquement.»

Quant à Paula Serrano, cinq mois ont suffi pour revenir sur le terrain – quatre de moins que ce qu’annonçait son club après son accident: «C’est un peu exceptionnel, j’ai eu de la chance que mon genou réponde bien à chaque étape de la réhabilitation.» Depuis, la Grenat n’a pas lâché ses exercices de prévention et insiste: «Normalement tout le monde devrait en faire! La probabilité de blessures chute si on fait les bons renforcements.»

«Travail et foot, ça faisait beaucoup»

Une recommandation que Jérémy Faug-Porret s’applique à concrétiser. L’entraîneur physique des Servettiennes se dit conscient de leur prédisposition à la rupture ligamentaire et tente de s’adapter: «On fait un vrai effort de prévention, en travaillant à haute intensité pour faire face aux pics de fatigue dangereux pendant les matchs.» Pour le spécialiste, l’essentiel est de comprendre le risque avec un «concept global», en ne se focalisant pas que sur le genou, mais en travaillant aussi sur les pieds, les hanches ou encore le tronc.

Paula Serrano blâme justement une forme d’épuisement pour son accident: «J’étais plus fatiguée que d’habitude à ce moment de la saison, raconte celle qui cumulait les matchs avec un emploi de logisticienne dans un magasin de sport. Travail et foot, ça faisait beaucoup.» 

Depuis, l’athlète a pu quitter son job pour se consacrer entièrement au sport, ce qui a radicalement changé sa situation: «Je me sens beaucoup mieux, j’ai plus de temps pour prendre soin de mon corps et j’ai moins peur de me blesser!»

Les menstruations en cause

Les règles constitueraient un autre élément à prendre en compte pour prévenir les ligaments croisés, selon la team manager de Servette Chênois Marta Peiró: «Une étude menée par Andrea Esteban a pu montrer qu’une majorité des footballeuses espagnoles de première division touchées par les ligaments croisés l’ont été pendant leurs premiers jours de règles.» Pour Paula Serrano, ça ne fait pas de doute: «C’est un facteur important de blessures qui n’est heureusement plus tabou aujourd’hui. Tous les jours, après l’entraînement, on remplit un formulaire pour indiquer notre phase menstruelle. Ça permet au staff de s’adapter et de prévenir les accidents.»

Dernier facteur de risque pointé par la joueuse: la qualité des terrains. Si les Servettiennes s’entraînent toujours sur synthétique au stade de la Fontenette à Carouge, elles doivent s’adapter à des types de terrains changeants en compétition. Une inconstance à corriger selon Paula Serrano: «La Suisse devrait commencer par là pour améliorer son championnat!»

Servette Chênois fait mieux que l’Olympique lyonnais

Questionnée sur l’augmentation du nombre de rupture des ligaments croisés, Malena Ortiz tient à nuancer: «Ce n’est pas une épidémie. Ces blessures ont toujours été plus courantes chez les femmes. Je pense que les gens commencent simplement à davantage s’intéresser au football féminin.» Il s’agirait donc d’une question d’attention médiatique, selon la Grenat.

Les statistiques du Servette Chênois sont effectivement plutôt rassurantes. «Deux blessées aux croisés en trois ans c’est très correct, surtout quand on pense à l’Olympique de Lyon qui en a trois par année… Après est-ce que c’est de la chance? Est-ce que c’est de la réussite? Je ne saurais dire», conclut le préparateur physique Sylvain Chareyre.

Thibaud Mabut, Amélie Gyger et Iñaki Dünner

Photo : KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi

Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Pratiques journalistiques thématiques” dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel. Une version de cet article a été publié le 19 avril 2024 dans La Tribune de Genève.

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