Mes 49 jours d’existence

Moi (aussi) j’ai voulu tester et découvrir l’algorithme de Facebook. Ne soyez pas déçus, Facebook continue de le garder secrètement. Le seul moyen de tenter de percer le mystère, c’est d’essayer.

Je m’appelle Charlotte. J’ai 24 ans. J’ai vécu 49 jours. Sur ma photo de profil, mes cheveux blonds sont détachés, éclairés par la lumière de fin de journée. Le regard tourné, c’est impossible de voir mon visage. Sur ma photo de couverture c’est pareil. Prise de dos, je regarde paisiblement la mer.

Mes photos sont bizarres. On dirait qu’elles sortent d’une banque d’images prétextes. Et c’est le cas. Moi, Charlotte Snively, je n’ai jamais existé.

Le profil Facebook de Charlotte Snively. Cliquez sur les icônes pour en apprendre davantage.

Faire partie des 1%

Je ne fais pas partie des 7,3 milliard d’habitants de la Terre. Je suis l’un des 18 millions de faux comptes Facebook (sur 1,86 milliard d’utilisateurs actifs par mois, d’après le rapport annuel de Facebook). D’ailleurs, j’ai de la chance de ne pas avoir été supprimée juste avant les élections françaises, comme 30’000 faux comptes français.

Du 21 février au 11 avril, j’ai effectué 574 actions sur le réseau social. Un peu moins de 12 clics par jour. Voilà ce qui restera de ma vie.

Pourquoi je me suis enfermée

Je suis partie à la recherche de l’algorithme de Facebook, dans le cadre de l’élection présidentielle française. Je n’étais pas seule. En tout nous étions neuf faux profils, un homme et une femme par candidats (Macron, Le Pen, Fillon et Hamon), et un compte de contrôle. J’ai commencé par m’abonner à 28 médias traditionnels et 22 médias alternatifs, engagés, de buzz ou de «fake news».

Et durant sept semaines, j’ai tenté de me placer dans une bulle filtrante « pro-Hamon ». Je ne peux pas dire si j’aurais fait partie des 6% qui ont voté pour le candidat socialiste au premier tour. En revanche, je peux vous dire ce qui ne fonctionne pas. Sur les réseaux sociaux bien sûr.

Réagir aux publications

Une de mes premières stratégies a été d’utiliser les « réactions » que propose Facebook. Lorsqu’on reste appuyé sur « J’aime », le réseau social nous propose plus qu’aimer, réagir. On a le choix entre « J’adore », « Haha », « Waouh », « Triste » ou « Grrr ». Parfait. Je me dis que mettant « Grrr » à tous les posts qui parlent de Marine Le Pen, ceux-ci disparaîtront. Raté!

Si Facebook donne le même poids à toutes les réactions, il ne les différencie pas selon qu’elles soient positives ou négatives. Donc « J’adore » et « Grrr » pèsent la même chose, mais valent plus qu’un simple « J’aime ». Résultat, Facebook me donne encore plus de contenu liés à mes réactions qu’à mes « j’aime ».

Le sens des mots

S’il y a quelque chose que je hais, c’est bien les médias qui désinforment. Lorsque RT France ressort des vieilles images et invente une manifestation en Suède, ça m’énerve.

Alors je ne peux pas m’empêcher de faire un commentaire : « C’est quand même intéressant que RT France soit le seul média à parler de ces « émeutes » ? De nouveau quelque chose d’inventé ? Ou des infos que seuls les médias d’extrême droite relaient ? ». Vous me direz, même Trump s’est fait avoir et a corrigé son tweet entre-temps.


Mais voilà, l’étrange conséquence, c’est que RT France deviendra très présent dans ma timeline. Jusqu’à ce que j’arrête d’interagir avec et qu’il disparaisse petit à petit. On constate donc à nouveau que Facebook ne différencie pas les mots positifs ou négatifs. Il retient juste que si on passe du temps à commenter quelque chose, c’est que ça nous importe.

Et alors ?

Libération ressort parmi les médias que j’ai le plus partagé. Cela s’explique sûrement par mes quelques 105 actions en rapport avec ce média. C’était une autre de mes stratégies: partager que des publications orientées « à gauche ». Il m’est arrivé, lorsque je me connectais, de voir apparaître sur mon fil d’actualité jusqu’à une dizaine de leurs publications à la suite.

Une autre personne s’invite très régulièrement sur mon fil d’actualité: mon pendant pro-Hamon masculin. Celui qui apparait le plus parmi mes 10 amis. Un hasard ? Pas forcément puisque 74 fois, j’ai aimé, partagé, commenté, suivi, ce qu’il publiait. Vient ensuite le profil pro-Le Pen masculin, parce que j’ai souvent répondu à ses publications: on ne partage pas les mêmes avis, vous vous en doutez bien.

Quelques événements auront quand même transpercé la paroi de ma bulle: les révélations sur Fillon et les soupçons d’emplois fictifs sur Marine Le Pen.

Mais elle est restée relativement imperméable à d’autres, comme l’attaque chimique des enfants syriens, qui n’a pas eu de grand écho sur mon fil d’actualité.

Ma bulle s’est créée petit à petit, par des actions volontaires et, plus ou moins calculées. Mais tout le monde ne s’en rend pas compte. Petit à petit, à coups de « like », de partage, de commentaires, les parois des bulles s’épaississent. Mais pour le moment Facebook garde bien son secret.

 

Les données ont été récupérées sur le profil de Facebook de Charlotte Snively. On y accède depuis un profil Facebook, en cliquant sur   dans le coin droite supérieur et en choisissant « Historique personnel ». Les données ont été ensuite recodées. Par exemple, la ligne 91 « Charlotte Snively aime un lien de Libération », donne aime=1, lien=1 et média=Libération, toutes les autres variables sont égales à 0. Les occurrences ont ensuite été transformées en graphique sur infogra.am, outil d’infographie en ligne.

Les données sont celle de la période de l’expérience, soit du 21 février au 11 avril 2017.

 

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