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Reconnaître un esclave en Suisse, est-ce possible ?

La première édition neuchâteloise de la Marche pour la liberté a attiré une quarantaine de manifestants. Jodie Leisi

Une marche contre la traite des êtres humains a eu lieu samedi 14 octobre dans la zone piétonne de Neuchâtel. Le but des manifestants : équiper les passants des outils permettant d’identifier les personnes exploitées.

Une incursion silencieuse a traversé le centre-ville de Neuchâtel samedi 14 octobre. Les bruits étaient les habituels du marché matinal, mais, cette fois, transpercés par le claquement des pas d’une quarantaine de manifestants.

Et si l’oreille peinait à les percevoir, l’œil ne pouvait manquer de le faire. Disposées en file indienne, vêtues exclusivement de noir et avec du scotch couvrant leur bouche, elles et ils ont dressé un tableau dramatique, pour rappeler à la population locale que l’esclavage existe toujours, et pour exprimer leur solidarité envers les victimes restées dans l’ombre.

Marche pour la libertà – Neuchâtel

La marche sous différents angles. Jodie Leisi

Marche pour la libertà – Neuchâtel
Marche pour la libertà – Neuchâtel
Marche pour la libertà – Neuchâtel
Marche pour la libertà – Neuchâtel
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Une réalité aussi en Suisse

La Marche pour la liberté – une manifestation organisée simultanément dans plus de 500 villes dans le monde – a atteint Neuchâtel pour la première fois, remettant sur le devant de la scène la question de la traite des êtres humains. Souvent négligé, imaginant naïvement qu’il ne se produit que dans des pays lointains, le phénomène est pourtant bien présent sous nos latitudes. Selon les estimations de la police fédérale, environ 3’000 cas sont constatés chaque année en Suisse, le plus souvent liés au travail ou à la prostitution forcée.

Les victimes ne pleurent pas toujours

Un obstacle majeur entrave la lutte contre l’esclavage moderne : l’identification des personnes exploitées.  Tout simplement parce que, dans la plupart des cas, les victimes ne ressemblent pas au portrait stéréotypé inscrit dans l’imaginaire collectif.

Nous pensons souvent qu’une victime doit toujours être en larmes, triste ou abattue. Mais il est plus probable qu’elle n’en ait pas le droit ou qu’elle n’ait pas conscience de sa situation.

Nathalie Guéx, coordinatrice du Bureau national d’enregistrement de déclarations contre la traite des êtres humains

Des traits récurrents

Les victimes sont-elles donc condamnées à rester dans I’obscurité ? Absolument pas. C’est la police fédérale qui répond, en élaborant une liste méticuleuse de signes qui apparaissent couramment dans les cas de traite des êtres humains.

  • Traces de maltraitance physique ou d’automutilation
  • Toxicomanie ou alcoolisme
  • Fatigue importante
  • Caractère fuyant et craintif dans les rélations sociales
  • Mauvaise connaissance de la langue locale
  • Dépendance morbide à l’égard d’une autre personne (l’employeur ou le partenaire)
  • Faible disponibilité économique (souvent limitée aux espèces)
  • Méconnaissance du lieu
  • L’habitation correspond au lieu de travail

Il ne s’agit que d’une sélection des traits les plus fréquemment détectés par les autorités, mais plus ces conditions s’accumulent, plus la sonnette d’alarme doit être tirée.

Dans le quotidien de chacun

N’importe qui peut côtoyer un esclave. Les plus concernés sont les professionnels de la santé – auxquels la police a dédié une campagne ad hoc – et de la construction. Mais la traite des êtres humains s’étend à bien d’autres endroits, des restaurants aux studios de manucure, en passant par la rue, où la mendicité forcée est pratique courante.

Des fois, juste avoir les yeux ouverts permet de s’arrêter et de se poser la question : est-ce que la personne en face de moi est victime d’exploitation ? 

Célia Jaenneret, juriste et co-organisatrice de la Marche pour la liberté

Une question que s’est posée, mais peut-être trop tard, pour Caroline, la personne qui ouvrait la marche. Elle témoigne avoir vécu de près une situation qui présentait plusieurs indices suspects, sans pour autant s’en rendre compte immédiatement et, par conséquent, sans la signaler.

Considérant le silence, forcé ou inconscient, dans lequel vivent la plupart des victimes, l’intervention de celles et ceux qui les côtoient est souvent la seule bouée de sauvetage.

À qui s'adresser
Toute victime ou témoin peut contacter l'association Act212 qui met à disposition un formulaire en ligne et une hotline (0840 212 212). Les signalements peuvent également être envoyés de manière anonyme.
Par Antonio Fontana
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “écritures informationnelles”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.

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